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tâmes au milieu d’un petit hameau, composé d’une dizaine de cases et nommé Petoung en laotien. Au dire du fonctionnaire de Bassac qui nous escortait, c’était non loin de là, sur les bords d’un petit ruisseau, que nous devions trouver les gisements argentifères que nous cherchions. Désirant m’y rendre dès le lendemain matin, je m’informai immédiatement de la distance à parcourir. Mais à ce moment on ne me comprit plus. Des mines d’argent ? Il n’en avait jamais été question. Nous en parlions pour la première fois. On avait cru que nous voulions tout simplement voir les sauvages et la montagne, et on nous avait conduits dans la montagne au milieu des sauvages. Quant à voir des mines d’argent, c’était impossible, par une raison très-simple : il n’en avait jamais existé dans la province. Notre stupéfaction était grande. M. Thorel, Renaud et moi nous nous regardions sans parvenir à croire à la réalité d’un quiproquo pareil. Nous avions montré ce métal lui-même, et si le mot avait pu être mal prononcé, l’objet n’avait pu être méconnu. J’insistai ; Renaud fit appel à tout son savoir en cambodgien pour convaincre le mandarin qui nous escortait qu’il nous avait bien réellement affirmé la présence de mines d’argent dans cette localité. Nous n’obtînmes que des dénégations faites avec la tranquillité la plus grande et l’étonnement le mieux joué. Sans aucun doute les gens du pays avaient réussi à faire regretter au fonctionnaire laotien sa franchise première, en lui exposant les dangers d’une visite de cette nature. N’allait-on pas, en permettant à des Européens l’appréciation des richesses métallurgiques de la contrée, attirer leur attention et celle de Bankok, exciter la cupidité des étrangers et des gouvernants, faire augmenter les impôts ? Cette difficulté qui allait se dresser perpétuellement devant nous pendant tout le reste de notre voyage était d’une nature insurmontable : les instances, les menaces, les promesses ne faisaient que confirmer la résolution prise. Nous nous résignâmes et nous reprîmes dès le lendemain matin la route de Ban Song. Le 9 octobre, à une heure de l’après-midi, nous étions de retour au campement de Bassac.

La contrée avait complètement changé d’aspect depuis notre départ. Les eaux du Cambodge avaient baissé de plus de 5 mètres ; toutes les dépressions de terrain inondées s’étaient asséchées, les sentiers avaient reparu ; les berges, fertilisées par le limon du fleuve, se couvraient de cultures de tabac, de coton, de mûriers, de plantes maraîchères, Partout on préparait les engins pour la pêche, on se disposait à arrêter le poisson dans les arroyos que la baisse des eaux mettait à sec. Dans les campagnes, les riz jaunissants appelaient la faux du moissonneur, et l’on construisait déjà les hangars où pendant la récolte on dispose les gerbes en carrés symétriques. Dans les villages, on réparait les chars qui gisaient démontés et sans emploi sous les maisons, et les bœufs coureurs, rappelés des terrains élevés où ils avaient passé la période de l’inondation, revenaient reprendre leur service accoutumé. La vie, un instant suspendue, recommençait partout.

Les relations du commandant de Lagrée avec le roi et les autorités du pays étaient devenues de plus en plus intimes et cordiales. Le roi ne perdait pas une occasion de témoigner sa déférence au chef de la mission française ; les questions qu’il lui adressait sur le sort du roi de Cambodge et sur les conditions du protectorat de la France, témoignaient d’une secrète impatience du joug de Siam. Cette impatience paraissait d’ailleurs partagée