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mètre, tout le monde avait hâte de sortir du repos dont le plus grand nombre jouissait depuis plus de deux semaines. La santé générale de l’expédition paraissait assez bonne. Seul, depuis mon retour de Sombor, je me sentais assez sérieusement indisposé, et M. Delaporte avait dû me remplacer dans mes diverses fonctions. Au milieu des préparatifs de départ, cette indisposition se transforma tout à coup en maladie grave : j’étais atteint de typhus. Je restai pendant plusieurs jours entre la vie et la mort, et je ne pus reprendre mes travaux habituels que plus d’un mois après.

Le 14 août, à midi, l’expédition se remit en marche. Les six barques qui la portaient descendirent le Se Cong et, portées par un courant de près de trois milles à l’heure, ne tardèrent pas à atteindre la pointe où les eaux de la rivière se mélangent à celles du Cambodge. En raison de sa forme, cette langue de terre est appelée par les Cambodgiens et les Laotiens « la Queue de Bœuf ».

À partir de ce point, recommença le long de la rive gauche ce fatigant exercice de halage dont notre voyage de Cratieh à Stung Treng nous avait déjà donné l’habitude. Les eaux continuaient à monter et atteignaient presque le niveau des berges. Les branches les plus basses des arbres de la rive se projetaient au-dessus de nos têtes et nous barraient parfois le passage : il était alors impossible, à cause de la violence du courant, de contourner l’extrémité qui baignait dans l’eau, et il fallait passer une heure ou deux à élaguer l’obstacle à coups de hache. Le lendemain de notre départ, les rives mêmes du fleuve semblèrent disparaître sous l’inondation, et les barques naviguèrent en pleine forêt. Dans de pareilles conditions, il était bien difficile de se rendre compte de l’aspect et de la navigabilité du fleuve, et un examen de cette partie de son cours à une autre époque de l’année devenait une impérieuse nécessité.

Le 15 août, la commission campa à peu de distance d’un petit mamelon isolé, haut de 150 mètres environ, appelé par les Laotiens Phou Kaomin, et par les Cambodgiens Pnom Remiet. Dans la journée on avait aperçu un instant sur l’autre rive du fleuve, distante de 1,500 mètres environ, les sommets de quelques collines. Ce fut le lendemain que les petites montagnes de Khon surgirent à l’horizon et nous annoncèrent l’approche des cataractes.

Toute cette partie de la vallée du fleuve est absolument déserte. Le commandant de Lagrée désignait chaque soir au petit officier laotien chargé de nous escorter, l’endroit de la rive qu’il choisissait pour y passer la nuit, et fatigués d’une longue réclusion dans nos barques, nous nous élancions à terre. Les bateliers amarraient solidement leurs pirogues, et la forêt retentissait aussitôt des clameurs joyeuses de notre escorte qui se répandait au loin pour chercher les éléments de nos feux de cuisine et de bivouac.

Le 17 août, nos barques arrivèrent enfin au pied des cataractes de Khon. Elles sont précédées par un immense et magnifique bassin qui a environ une lieue et demie dans sa plus grande dimension et une quarantaine de mètres de profondeur[1]. Il est limité au nord par un amas compacte d’îles, au milieu desquelles surgissent pour la première fois

  1. Voy. la carte des rapides de Khong, Atlas, 1re partie, pl. III, le plan à vol d’oiseau, pl. IV, et le panorama pris du sommet de Phou Hin Khong, petite colline située près de Muong Khong, 2e partie, pl. XIII.