Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/200

Cette page a été validée par deux contributeurs.

prendre quelques relèvements et compléter la trop sommaire notion que je venais d’avoir de cette partie du fleuve : si la profondeur de l’eau paraissait suffisante pour laisser passer un navire, la force du courant enlevait tout espoir que ce passage pût jamais être tenté, et le chenal, s’il existait, ne devait plus être cherché de ce côté, mais plus probablement au milieu des îles qui occupent la partie centrale du lit du fleuve.

En continuant la descente du fleuve le long de la rive droite, je trouvai encore quelques passages assez rapides, mais aucun qui présentât le moindre danger. Le même jour, à 2 heures et demie, j’arrivai à Sombor, ayant parcouru en douze heures, grâce à la rapidité du courant, la distance que nous venions de mettre six jours à franchir en remontant le fleuve ! Je trouvai à Sombor une barque cambodgienne chargée des caisses que nous avions dû laisser à Cratieh, faute de moyens de transport suffisants ; elle allait rejoindre l’expédition à Stung Treng ; j’abandonnai ma petite pirogue trop incommode pour un long trajet, je récompensai généreusement mes deux pilotes, et, après avoir pris définitivement congé d’eux et du gouverneur de Sombor, chez lequel je passai une nuit, je repartis avec cette barque retardataire. Ce fut avec la plus vive satisfaction que je m’aperçus, pendant le trajet, qu’elle contenait des caisses de biscuits : j’étais parti sans provisions, et je n’avais pu acheter à Sombor des vivres en quantité suffisante. Ce biscuit et un peu d’eau-de-vie me permirent de ne point recourir absolument aux boulettes de riz des bateliers. Le 30 juillet, j’étais de retour, sans autre incident, à Stung Treng.

Tout s’y passait le plus tranquillement du monde. Le commandant de Lagrée en était parti, la veille, pour faire une excursion dans le Se Cong. Le logement de l’expédition était complètement achevé et plaisamment situé à l’embouchure d’un petit arroyo, sur la berge même de la rivière[1]. Il n’était séparé des maisons du village que par le sentier qui en forme la rue principale. La population s’était bien vite accoutumée à la petite expédition ; les approvisionnements et les achats de toute nature se faisaient avec la plus grande facilité. À la pointe même de la rivière et du grand fleuve, au milieu de la solitude d’un petit bois, sont des restes fort remarquables de tours en briques de l’époque khmer. Les bases de ces tours sont divisées en deux compartiments, dont chacun forme un petit sanctuaire rectangulaire. En dedans de l’enceinte qui enclôt ces tours, sont des restes d’édicules, comme dans les monuments du Cambodge. Les encadrements des portes sont en grès ; mais si les briques employées sont d’une grande beauté et d’une grande perfection de cuisson et de forme, la pierre est plus grossière, plus mal jointe ; l’ornementation est d’un goût plus lourd.

D’autres ruines, consistant également en tours en briques, avec portes en grès, se trouvent sur la rive droite du Cambodge, vis-à-vis de l’embouchure du Se Cong. Elles furent visitées par M. Delaporte.

Il résulte, comme nous l’avons déjà vu, de la relation du voyage de Gérard van Wusthof, que Stung treng était autrefois le lieu d’une résidence royale[2]. C’est probable-

  1. Voy. Atlas, 2e  partie, pl. V, la vue de Stung Treng et de l’embouchure du Se Cong.
  2. Voy. Bulletin de la Société de géographie, sept.-oct. 1871, p. 255.