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ruines déjà découvertes, tel était le genre d’émotions tout à fait nouveau que nous éprouvions à ces promenades. Le soir, sur la terrasse d’Angcor Wat, la parole claire, élégante, parfois animée du commandant de Lagrée, éclairait nos recherches, résolvait les problèmes posés, et nous reportait à cette grande époque où la foi avait fait surgir ces merveilles de pierres.

Il fallut nous arracher à ces intéressantes études. Le 1er juillet, à 10 heures du matin, nos éléphants nous attendaient tout sellés, sur la plate-forme qui précède Angcor Wat, et nous nous remettions en route pour Siemréap, où un bon repas nous était préparé par les soins du gouverneur. À midi, après lui avoir dit un cordial adieu, nous nous embarquions dans des barques légères vis-à-vis de la porte même de la citadelle. La crue des eaux rendait possible la navigation de la rivière d’Angcor de ce point jusqu’au Grand Lac.

La chaleur était étouffante et prédisposait plus à la sieste qu’à la contemplation du paysage monotone qu’offraient les prairies noyées au travers desquelles la rivière promenait ses capricieux méandres. D’innombrables bandes d’oiseaux de marais volaient lourdement au-dessus de nos têtes, ou, rangés impassibles le long des rives, nous regardaient passer sans interrompre leur pêche. Le soir, nous étions rendus à bord de la canonnière 27 qui appareillait immédiatement. Le 2 juillet, à la tombée de la nuit, nous jetions de nouveau l’ancre devant Compong Luong.

Comme tous les villages annamites et cambodgiens, Compong Luong se compose d’une longue rangée de maisons parallèles au fleuve et bâties sur l’espèce de chaussée que forme la rive elle-même, et qui domine les terrains environnants. Seulement, alors que les cases annamites reposent directement sur le sol, les cases cambodgiennes sont élevées sur pilotis à un, deux, quelquefois trois mètres au-dessus. On pourrait croire, de prime abord, que cet usage doit son origine à la nécessité d’échapper aux inondations du fleuve, dont les crues atteignent en cet endroit dix à douze mètres. Mais, comme on retrouve le même genre de construction employé en des lieux où les habitants n’ont pas à craindre d’être envahis par l’eau, il faut plutôt l’attribuer à un instinct de race, particulier à quelques peuples de l’Inde et de l’Indo-Chine. Son utilité réelle est de préserver le logement de l’humidité, des scorpions, des sangsues, voire des serpents et autres visiteurs désagréables.

Il n’était plus possible de parcourir les environs de Compong Luong, en raison de la crue des eaux qui avait pris depuis notre départ des proportions considérables. Il n’y avait d’autre route fréquentable que la haute et large chaussée qui conduit à Oudong. Cette promenade même n’offrait plus grand intérêt, le roi du Cambodge et toute sa cour s’étant transportés depuis peu à Pnom Penh. En suivant la chaussée, on laisse à gauche une colline à trois sommets, nommée Prea Reach Trop. Au pied de cette colline ont été enterrés presque tous les membres de la famille royale depuis le roi Ang Eng. Sur le point culminant, s’élevait jadis un sanctuaire contemporain d’Angcor, auprès des ruines duquel les rois du Cambodge ont construit au seizième siècle de nouvelles pagodes.

La canonnière 32 nous attendait à Compong Luong : M. de Lagrée régla complètement avec son successeur tout ce qui était relatif aux magasins et au petit établissement français de ce village, et les deux canonnières appareillèrent ensemble le 5 juillet pour