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À ce moment, la France était déjà intervenue au Cambodge ; depuis l’année précédente, un officier d’un rare mérite, celui dont le nom est inscrit en tête de cet ouvrage, le commandant de Lagrée, résidait au Cambodge et par ses utiles informations avait guidé le gouverneur de la colonie, l’amiral La Grandière, dans les négociations qu’il avait été nécessaire de nouer avec Siam pour l’amener à renoncer à son action sur le Cambodge. Il n’y avait pas d’avenir possible pour nos possessions de Cochinchine, si l’accès de la vallée du grand fleuve nous restait fermée. Or, entre des mains siamoises, le Cambodge ne pouvait être et n’était en effet qu’une barrière et un isolant empêchant tous les produits du Laos d’arriver à Saïgon, pour les rejeter sur Bankok. Nous ne pouvions tolérer qu’une influence commerciale aussi contraire pût s’exercer à Pnom Penh, aux frontières mêmes de notre colonie. C’était déjà bien assez que la moitié du delta du fleuve restât entre les mains des Annamites et servît d’asile aux pirates et aux chefs de bandes qui, à l’instigation de la cour de Hué, cherchaient à fomenter la révolte dans nos possessions.

Telle fut la nécessité d’où sortit le protectorat du Cambodge. Après avoir tour à tour employé la ruse et la menace auprès de Noroudam pour l’empêcher de se livrer à la France, après nous avoir même dénié le droit de traiter avec un prince qu’on affectait de tenir à Bankok pour un simple gouverneur de province, l’influence siamoise dut céder à l’ascendant que le commandant de Lagrée sut exercer sur l’esprit de Noroudam. Le général siamois Chao Koun Darat, se reconnaissant impuissant à contre-balancer l’action française, quitta Oudong, et son gouvernement se résigna à envoyer pour la cérémonie du couronnement les insignes royaux du Cambodge qui étaient restés jusques-là à Bankok. Le roi de Siam se refusa cependant à reconnaître officiellement le protectorat du Cambodge par la France, dans l’espérance d’obtenir la ratification définitive de la prise de possession des provinces de Battambang et d’Angcor, qu’aucune pièce écrite, qu’aucun titre officiel n’avaient légitimée jusqu’à ce moment.

Ce fut le 3 juin 1864, qu’eut lieu le couronnement de Noroudam en présence d’un envoyé siamois et du chef d’état-major de l’amiral La Grandière, M. le capitaine de frégate Desmoulins[1]. À partir de ce moment, il n’y eut plus de mandarin siamois à la cour du

  1. Il est intéressant de rapporter ici la pièce qui fut présentée au couronnement par l’envoyé siamois ; on y remarquera la hâte avec laquelle s’y produit la revendication de Battambang et d’Angcor :

    « …Autrefois le Cambodge était indépendant et gouverné par la famille de ses rois. Depuis cinq ou six cents ans, ce royaume a été fréquemment troublé par les dissensions et les guerres. Enfin, il a demandé secours à Siam qui est venu rétablir la paix. On a élevé sur le trône le roi Ang Eng, qui, en reconnaissance, a donné à Siam les provinces de Battambang et d’Angcor. Depuis ce temps, ces deux provinces n’appartiennent plus au Cambodge ; elles sont gouvernées par Siam, ainsi que le Laos jusqu’au grand fleuve. »

    « Plus tard le roi Ang Chan, fils aîné du précédent, a été élevé sur le trône, et il y eut dissensions et luttes entre ce roi et ses frères. Ceux-ci vinrent demander l’appui de Siam. Ang Chan s’enfuit chez les Annamites et demanda à leur roi le nom et le cachet. Il paya tribut aux Annamites et à Siam et gouverna comme son père. »

    « Sous le roi de Siam Nang Clao, les Annamites voulurent emmener dans leur pays les mandarins et le peuple cambodgien. Il y eut de grandes guerres, et le Cambodge demanda l’appui des Siamois. Le peuple et les mandarins demandaient Ang Duong, autre fils de Ang Eng, qui s’était réfugié à Siam. Le roi de Siam envoya Ang Duong et donna des soldats pour combattre les Annamites. Ang Duong n’était pas encore cou-