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des Philippines au roi légitime du Cambodge, ne font aucune allusion à l’acte barbare attribué au prince siamois. Le frère du roi cambodgien, nommé Prea Srey Sorpor, qui était obbojureach ou « second roi » et se trouvait à Lovec au moment de la prise de cette ville, fut emmené à Siam avec sa femme Prea Reachea Tapi, et ses deux fils, dont l’aîné, Prea Chey Chesda, avait quinze ans, et le plus jeune, Prea Outey, en avait quatre[1].

Prea Ream Chung Prey, le neveu révolté du roi fugitif, résida à Sistor, ville importante située près de la rive gauche du grand fleuve, en amont de Pnom Penh, et réussit en 1595 à chasser les Siamois du royaume. Mais il fut tué à son tour par Blas Ruiz, Espagnol attaché depuis longtemps à la fortune du roi légitime, qui l’attaqua avec une poignée d’hommes dans son palais (14 mai 1596), et ramena sur le trône, non Prea Rorom Reachea, qui était mort en exil avec son fils aîné, mais son plus jeune fils Chau phnhea Ton, qui prit le titre qu’avaient porté ses deux prédécesseurs. Ce prince fut assassiné trois ans après, à l’âge de 21 ans, par un Malais et un Cham. Après deux années de troubles et de guerres civiles, les Siamois placèrent sur le trône du Cambodge Prea Srey Sorpor[2]. Celui-ci abdiqua en 1618 en faveur de son fils aîné Prea Chey Chesda, qui semble avoir secoué le joug siamois et repoussé avec succès deux tentatives d’invasion. Il fit également une expédition chez les tribus sauvages qui habitent la vallée du Se Cong, dans le but de découvrir les gisements aurifères très-abondants que ces tribus auraient eus en leur pouvoir. Cette expédition fut malheureuse, et la plupart de ceux qui la composaient périrent de maladie. Prea Chey Chesda mourut en 1627, et son fils lui succéda sous le nom de Prea Srey Thomea. Ce prince paraît avoir résidé auprès de la pagode de Pnom Bachey[3]. Il soutint une guerre heureuse contre les Siamois. Mandelslo constate que le Cambodge disposait à ce moment d’une armée de 25 à 30,000 hommes[4]. Les relations commerciales avec les Européens commençaient à devenir fort actives. C’est l’époque des voyages d’Hagenaar et de Wusthof.

Mais de nouvelles dissensions plongèrent le royaume dans une série de guerres civiles et de révolutions qui amenèrent, avec l’intervention des Siamois et des Annamites, la ruine définitive de la puissance cambodgienne. L’oncle de Prea Srey Thomea se révolta contre lui et le renversa du trône. Un fils de ce dernier, auquel les historiens européens donnent le nom de Nac Ciam, s’empara à son tour violemment du pouvoir en assassinant son frère aîné, et fit peser sur tout le royaume une tyrannie insupportable. Ce fut lui qui fit assassiner Regemortes, chef du comptoir hollandais. Il fit d’Oudong la capitale du royaume et embrassa le mahométisme pour s’attacher les Malais et les Javanais, très-nombreux à ce moment au Cambodge, et s’assurer ainsi un appui contre le mécontentement de ses sujets. Les autres princes de la famille royale se liguèrent contre lui, le renversèrent, puis se partagèrent en deux camps dont l’un invoqua le secours des Annamites et l’autre celui des Siamois.

  1. Toutes ces désignations de princes ou de princesses sont des titres ou des qualifications honorifiques et non des noms propres. Leur répétition incessante rend l’histoire cambodgienne aussi fatigante que confuse.
  2. Chinese repository, t. VII, p. 543 ; J. A., 1871, p. 360-361.
  3. Voy. Wusthof, Vremde reyde inde coningricken Cambodia ende Louwen. Harlem, 1669, p. 16-17, ou la traduction que j’en ai publiée dans le Bulletin de la Société de géographie, sept.-oct. 1871, p. 252 et 256.
  4. Voyages célèbres et remarquables, etc. Amsterdam, 1727, p. 331.