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mit complètement ce royaume. C’est à partir de ce moment que le Tchin-la prend dans les auteurs chinois le nom de Tchen-la[1]. En 1201, un nouveau roi monta sur le trône du Cambodge et renouvela les hommages à la cour de Chine. Il régna vingt ans.

La domination du Cambodge sur le Tsiampa ne fut pas de très-longue durée. En 1278, l’empereur Khoubilaï, qui venait d’achever la conquête de la Chine, s’efforça d’établir sa domination sur toute l’Indo-Chine ; il envoya un émissaire à Tchen-tching pour demander au roi de ce pays de se reconnaître son vassal. Mais, en 1282, Lou-ti, fils du roi tsiam-pois, fit saisir et emprisonner tous les fonctionnaires chinois qu’avait envoyés Khoubilaï, et celui-ci engagea avec Tchen-tching une guerre qui ne fut pas toujours heureuse[2].

En 1296, Khoubilaï envoya aussi un ambassadeur au Cambodge ; c’est celui dont le récit, traduit par A. Rémusat, a été si souvent cité dans le cours de ce travail. Ce récit nous montre le Cambodge dans un état de richesse remarquable. En dehors de la secte des lettrés, le peuple y est partagé entre deux cultes : celui de Fo et celui des Tao-sse. Le bouddhisme est la religion du plus grand nombre ; c’est toujours la religion officielle ; car, quand le roi sort, on porte devant lui une statue de Fo. Le brahmanisme et la coutume hindoue de brûler les corps ont disparu ; du culte des serpents il ne reste que des souvenirs qui se traduisent en légendes. « Plusieurs personnes d’un rang distingué, dit l’ambassadeur chinois, m’ont raconté qu’anciennement, il y avait, dans la tour d’Or du palais du roi, une fée sous la forme d’un serpent à neuf têtes, laquelle était la protectrice du royaume ; sous le règne de l’un des rois du pays, cette fée prenait chaque nuit la figure d’une femme et venait trouver le prince ;… si la fée restait une nuit sans paraître, c’était un signe de la mort prochaine du roi ; si le roi de son côté manquait au rendez-vous, on pouvait être sûr qu’il y aurait un incendie ou quelque autre calamité[3]. » Nous retrouvons là sans doute une lointaine réminiscence de Ye-lieou ou Nang Nakh.

Malgré la splendeur des monuments et les pompes de la cour royale, le Cambodge, au point de vue politique, parait un peu déchu. Des guerres récentes avec les Siamois l’ont dépeuplé, et il semble qu’il ait été, peu d’années auparavant, tributaire du roi de Cochinchine. Celui-ci exigeait une once de fiel humain comme impôt[4]. L’inscription de Sokhotay, qui est contemporaine de l’époque à laquelle nous sommes arrivés et qui est le plus ancien document épigraphique de l’histoire siamoise[5], nous apprend que le prince

  1. Hay koue thou tchi, k. 8. Historiens des Song et des Ming ; Ta thsing y thoung tchi, k. 440, article Tchin-la. Rémusat, op. cit., p. 22-23, Yuen liien louy han, k. 234.
  2. Voy. les citations du Sou houng kian lou et du Li tai ki sse nien piao faites par Pauthier, dans son édition de Marco Polo (p. 552-554, notes). On y trouvera le résumé de l’histoire de Tchen-tching, de 1278 à 1333. Lisez aussi les quelques curieux détails donnés par le grand voyageur vénitien sur ce même pays qu’il visita vers 1284 (liv. III, chap. V de sa relation).
  3. Rémusat, op. cit., p. 46.
  4. Il serait assez curieux de rechercher l’origine de cette abominable coutume qui n’existe plus qu’à l’état de souvenir légendaire. Le preneur de fiel est le croquemitaine des campagnes cambodgiennes. Voy. Bouillevaux, Voyage dans l’Indo-Chine, p. 241.
  5. Je ne crois pas douteux que ce soit l’ère de Salivahana qui est employée dans cette inscription dont le docteur Bastian a donné une traduction complète dans le tome XXXIV, 1re part., p.27 et suiv., du Journal de la Société asiatique du Bengale. C’était là l’opinion du feu roi de Siam (Bowring, op. cit., t. I, p. 278). L’emploi du