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suivant d’autres, qui sont plus vraisemblables, il aurait vécu vers 1500 de l’ère bouddhique, c’est-à-dire dans la dernière moitié du dixième siècle.

À ce moment, le pays des Sajam était sous la domination du Cambodge et lui payait tribut ; Phra Ruang s’affranchit de cette tutelle et régna à Satxanalai ou Sangkhalok, ville qu’il avait fondée sur la branche la plus orientale du Menam. Les annales siamoises ajoutent que les caractères khmers, usités jusque-là par les Thaï, furent, à partir de cette époque, employés uniquement à l’écriture des livres sacrés, et que Phra Ruang inventa les caractères vulgaires qui sont aujourd’hui en usage à Siam. Nous verrons plus loin que cette invention est plus moderne et doit être attribuée à un autre prince.

Le royaume fondé par Phra Ruang paraît n’avoir eu qu’une existence éphémère. Son fils Soucharat fut vaincu par le roi laotien de Xieng Sen, Thamma Trai Pidok, qui bâtit la ville de Phitsanoulok et établit ses deux fils, l’un roi de Lophaboury, l’autre roi de Xieng Hai. Mais cette prédominance des Laotiens à Lophaboury ne devait pas durer bien longtemps et le royaume d’Angcor allait recouvrer, sous le règne de Phnhea Krek, sa prépondérance passée. De nombreuses légendes se rapportent à l’avènement de ce prince au trône. La capitale du Cambodge était bien déchue de son ancienne splendeur depuis que s’était élevée à côté des Khmers la puissance rivale des Thai, et tout le monde était dans l’attente d’un grand roi qui rendrait à Angcor son ancien éclat. À cette époque, régnait au Cambodge le roi Khotabong, qui avait succédé à son père Khotama Thevarat. Les astrologues de la cour lui prédirent qu’il naîtrait sous son règne un saint qui s’emparerait du trône. Selon l’usage suivi en pareille circonstance, Khotabong fit brûler tous les enfants nouveau-nés. Phnhea Krek sortit de cette épreuve vivant, mais estropié. Il fut guéri par Prea En[1]. Arrivé à l’âge d’homme, il monta sur le trône en prenant le titre de Prea Sin Thop Amarin. Il épousa, dit-on, une princesse de l’ancienne famille royale. Il essaya d’introduire au Cambodge une nouvelle ère ; mais ses efforts restèrent inutiles. Le roi Khotabong se retira avec sa famille, ses serviteurs et la partie du peuple qui lui resta fidèle, dans le nord de la vallée du Menam et y fonda les villes de Phichit et Pixai. Quelques traditions attribuent à Phnhea Krek la construction de Ta Prohm et de Takeo. La pagode de Pnom Rachey est contemporaine de son règne ou même un peu antérieure, si l’inscription qui s’y trouve (Voy. p. 93) a été exactement traduite. Dans ce monument, on ne retrouve plus de trace du culte brahmanique et le bouddhisme y triomphe complètement des religions rivales. Mais, en même temps, l’art architectural des Khmers, dont la construction d’Angcor Wat avait marqué l’apogée, s’y montre en pleine décadence.

Les Siamois donnent une large place à Phaya Krek dans leurs légendes, et il semble que ce prince ait réuni de nouveau sous sa domination les populations de la vallée du Menam et celles du Cambodge[2].

Depuis quelque temps déjà, les marchands arabes pénétraient dans les mers de Chine

  1. Voy. le détail de ces légendes dans Pallegoix, op. cit., etc., t. II, p. 70 ; Bastian, op. cit., t. I, p. 314.
  2. Phnhea Krek et Phra Ruang ont été souvent confondus ensemble par les premiers écrivains qui se sont occupés des traditions siamoises, notamment par Low (Transactions of the Roy. As. Soc, t. III, p. 59). Cf. Lassen, Inditsche Alterthunskunde, t. IV, p. 414 et suiv.