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audience tous les trois jours au milieu d’un luxe et d’un appareil longuement décrits par les écrivains chinois. « Le roi, disent-ils, est assis sur un lit orné de sept espèces de pierres précieuses et parfumé avec cinq sortes d’aromates. Au-dessus est un dais supporté par des colonnes de bois précieux et lambrissé d’ivoire et de fleurs d’or. Ce pavillon est aussi éclatant que celui que l’on dit exister dans le royaume de Tchi-thou. De chaque côté du trône, un homme porte un réchaud où brûlent des parfums. Le roi est vêtu d’une étoffe de soie couleur de pourpre, dont les broderies représentent des fleurs. Il porte une couronne ornée de perles et de pierreries, et il a, comme une femme, des pendants d’or aux oreilles. Ses chaussures sont ornées d’ivoire. Les costumes des hauts fonctionnaires du royaume sont analogues à celui du roi. Les cinq plus élevés en grade sont le Kou-lo-tchi, le Kao-siang-pin (ailleurs Siang-kao-ping), le Pho-lo-to-lin, le Che-ma-ling et le Jan-to-leou[1]; ils n’approchent du roi qu’en se prosternant trois fois au pied du trône, et ils attendent un ordre pour en monter les degrés. Là, ils s’agenouillent de nouveau, en tenant les mains croisées sur leurs épaules, puis ils vont s’asseoir en cercle autour du roi pour délibérer sur les affaires publiques. De la porte de la salle jusqu’au pied du trône sont rangés plus de mille gardes, revêtus de cuirasses et armés de lances. »

« Près de la ville royale est une grande colline nommée Kia-po-cha (ailleurs Ling-kia-po-pho), au sommet de laquelle est un temple que gardent cinq mille soldats. À l’est, est le temple d’une divinité appelée Pho-to-ly, à laquelle on sacrifie des victimes humaines. Chaque année, le roi s’y rend pour faire pendant la nuit un sacrifice de ce genre. Ce temple est gardé par mille soldats. »

Ces détails sont donnés par les historiens des Souy, et l’on y trouve désigné assez clairement le temple du mont Bakheng. Faut-il reconnaître Takeo ou Preacan dans le temple situé à l’est ? Dans tous les cas, les sacrifices humains dont il est parlé n’indiquent pas que le bouddhisme eût pris à cette époque (commencement du septième siècle) une bien grande influence sur les mœurs de la population.

Sous les Thang, le royaume se divise en deux après les années Chin-long, c’est-à-dire après 707[2]. Le royaume du nord, plein de collines et de montagnes, est appelé Tchin-la de terre, parce que l’on y cheminait à pied, et le royaume du sud, borné par la mer et rempli de lacs, Tchin-la d’eau, parce qu’on pouvait y circuler en barque. Ce dernier a 800 li d’étendue, et sa capitale est Pho-lo-ti-pa[3]. Le royaume du nord s’appelle aussi Ouen-tan ou Pho-leou et a 700 li d’étendue. Le roi a pour titre Tui-kiu ou Tsiei-khiu. La cause de cette division du Cambodge parait indiquée dans les traditions indigènes : elles mentionnent en effet une émigration considérable, partie du nord et venant renouveler la population primitive du sol. Le prince Sang Cachac, fils du roi de Khomerata, royaume si-

  1. Il m’a été impossible de découvrir la moindre analogie entre ces transcriptions chinoises de mots indigènes et les titres usités aujourd’hui au Cambodge.
  2. Il est dit ailleurs : pendant les années Kai-yuen (713-742). C’est sans doute par inadvertance que Rémusat donne pour cette période la date 627-649.
  3. Les annales annamites nous apprennent que cette capitale dont elles prononcent le nom : Ba-la-de hu’u, était située à l’emplacement actuel de Bien-hoa (Cf. P. Legrand de la Liraye, op. cit., p. 79-83). Angcor demeurait donc la capitale du Tchin-la de terre ou Ouen-tan, que Bastian identifie à tort avec Vien Chan.