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le même crime. Il y a dans ce royaume beaucoup de gens qui suivent la loi de Bouddha, et d’autres qui s’adonnent au culte de Tao-sse. On expose les cadavres aux oiseaux de proie, ou bien on les brûle sur un bûcher, et on conserve les cendres dans des vases d’or ou d’argent, mais on ignore l’usage d’enterrer les corps. »

« Les habitants du Tchin-la sont très-habiles dans l’art de dresser les éléphants. Ils ont 5,000 éléphants de guerre qui sont nourris avec de la viande. » « Il n’y a que les enfants de la reine légitime qui soient aptes à succéder au trône[1]. Quand un nouveau roi monte sur le trône, on mutile tous ses frères en leur coupant un doigt ou le nez, etc., car il serait dangereux de leur permettre d’exercer aucune charge. On les envoie vivre dans un endroit séparé, et l’on pourvoit à leur entretien. »

C’est au milieu de la dynastie des Souy (581-617) que le Tchin-la commença à entrer en rapport avec la Chine (Yuen kien louy han). D’après le Hay koue thou tchi, au contraire (historiens des Thang), le Tchin-la était encore, pendant les années Tching-kouan (627-650), une province du Fou-nan. D’après le Pien y tien (historiens des Souy), le Tchin-la envoya des ambassades en Chine en 616 et en 617. Le nom de famille du roi était Tcha-ly[2], son nom propre était Tchi-to-se-na. Dès le temps de son aïeul, le pays était devenu puissant et Tchi-to-se-na soumit tout le Fou-nan à son autorité. Les historiens des Thang placent cette conquête en 627 sous le roi Cha-li-i-kin-na.

Ces contradictions, dues à la confusion qu’occasionne toujours un nom géographique nouveau donné au même territoire, la disparition complète du nom du Fou-nan dans les ouvrages chinois postérieurs, l’identité de la description topographique des deux pays, l’analogie que présentent ces transcriptions de noms ou de titres, telles que Tche-li-to-pa-mo Tcha-ly, Tchi-to-se-na, nous paraissent prouver que le Tchin-la est politiquement et géographiquement le même royaume que le Fou-nan. L’aïeul de Tchi-to-se-na est sans doute Kiao-tchen-jou, et la conquête dont il est parlé ici n’est autre que la révolution qui porta cet étranger au trône, ou un événement analogue à celui qui sépara un peu plus tard le Tchin-la en deux parties[3].

À Tchi-to-se-na succède son fils nommé I-che-na-sian-tai. Sa ville capitale se nomme I-che-na et contient vingt mille maisons. Au centre se trouve le palais du roi. Il y donne

  1. Rémusat a commis ici une méprise évidente en traduisant : « Quand le roi vient à mourir, la reine, sa femme légitime, ne lui succède pas (op. cit., p. 14). » La règle constante qui prévaut encore aujourd’hui au Cambodge, à Siam et au Laos, est l’exclusion du pouvoir de tout enfant né d’une concubine. C’est à cet usage que fait allusion le texte chinois.
  2. Quelques auteurs ont vu dans ces deux syllabes la transcription du mot Kshatrya, qui signifie guerrier, afin de rattacher la dynastie cambodgienne aux Kambojas du nord-ouest de l’Inde qui étaient, comme on l’a vu, des guerriers déchus de leur caste.
  3. Bowring, dans les extraits d’auteurs chinois qu’il a donnés d’après Wade, assimile Siam au Fou-nan, dont le nom se serait changé plus tard en celui de Tchi-thou « terre rouge » qui est bien un des anciens noms de Siam. Je n’ai pas eu à ma disposition les ouvrages chinois traduits par Wade ; mais dans le Pien y tien, les noms de Tchi-thou et de Fou-nan, se trouvent cités dans la même notice comme deux pays différents. Cette identification se heurterait d’ailleurs, comme je l’ai déjà fait remarquer, à ce fait, admis même à Siam, de l’antériorité politique et religieuse du Cambodge. L’éditeur chinois de l’Hay koue thou tchi assimile également le Fou-nan à Siam (k. 8, fo 6) ; mais j’attache moins d’importance aux identifications de la science moderne chinoise qu’à celles des auteurs européens.