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contemporain de Kiao-lehen-jou. Le Mahawanso fait naître Buddhaghosa dans le royaume de Magadha. C’était un brahmane converti à la foi bouddhique qui se rendit à Ceylan, sous le règne de Mahanamo (410-432), et traduisit en pâli les livres bouddhiques. Cette traduction, qui est celle qui a cours aujourd’hui dans toute l’Indo-Chine, aurait été achevée en 420 de notre ère[1].

La tradition varie beaucoup sur le point de l’Indo-Chine où aborda d’abord Buddhaghosa avec les livres sacrés. Les Arakanais le font débarquer à Tathoung ; les Cambodgiens le font arriver directement de Ceylan dans une petite barque ; les Siamois le font venir de Birmanie. Sans vouloir identifier le moins du monde le moine dont parlent les auteurs chinois avec le célèbre apôtre bouddhiste, il y a entre les faits qu’ils rapportent et les traditions locales, relatives à l’introduction du rite singalais en Indo-Chine, des coïncidences assez frappantes pour que l’on puisse admettre que ces faits et ces traditions se rapportent à la même époque.

Il ressort aussi des citations qui précèdent des livres chinois, que l’adoration du Dragon et des dieux de l’Olympe brahmanique se mêlait au Cambodge au culte de Bouddha. Les monuments d’Angcor portent surtout des traces authentiques de l’existence des deux premières religions qui semblent avoir été jusque-là les cultes officiels, et, à l’exception de Pnom Bachey, il n’est aucun sanctuaire parmi ceux que nous avons décrits, à qui l’on puisse assigner une destination exclusivement et authentiquement bouddhique. Un fait analogue s’est produit à Java où, d’après le témoignage de Fa-hien, le culte de Bouddha n’était point encore introduit au cinquième siècle et où les travaux de M. Friedrich[2] constatent son apparition et sa coexistence avec le brahmanisme dès le siècle suivant.

L’état d’antagonisme violent et direct qui, suivant Max. Muller[3], commença à se produire au cinquième siècle de notre ère, entre le brahmanisme et le bouddhisme fut probablement une des causes qui, au siècle suivant, jetèrent dans la péninsule indochinoise un si grand nombre de prédicateurs bouddhistes. Faut-il conclure de ce qui précède que le plus considérable des monuments d’Angcor, Angcor Wat, était déjà construit au sixième siècle ?

En rapportant à l’ère de Bouddha le millésime de 12… trouvé sur l’une des colonnes d’Athvea (voy. p. 44), monument que la tradition considère comme antérieur à Angcor Wat, on n’arriverait à faire remonter la construction de ce dernier édifice qu’au commencement du huitième siècle. Le livre cambodgien de Prea Ket Melea, qui est consacré tout entier à sa description, ne fait aucune allusion au bouddhisme et confirme la légende qui veut qu’Angcor Wat ait été originairement un palais. Enfin, comme nous l’avons déjà fait remarquer, on ne peut introduire Angcor Wat dans la description chinoise traduite par Bémusat, et qui décrit si exactement les monuments d’Angcor au treizième siècle, qu’en en faisant un tombeau, celui de Lou-pan, être lé-

  1. Voy. Turnour, op. cit., introduction, p. LIV ; Hardy, Eastern Monachism, p. 167.
  2. Batavian Transactions, t. XXVI, Mémoire sur les inscriptions de Java et de Sumatra.
  3. A history of ancien sanskrit literature. London, 1859, p. 56.