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Kiao-tchen-jou avait expédié dans ce port pour y faire du commerce. Ce moine cherchait ainsi une occasion de revenir dans sa patrie ; mais une tempête jeta le navire sur les côtes du royaume de Lin-y, et tout ce qu’il contenait fut pillé par les habitants. Le roi de ce pays avait été jadis un simple domestique du roi du Fou-nan. Le moine se rendit à pied dans ce dernier royaume, dont le souverain, sensible au vol de ses marchandises, l’envoya, la deuxième année Young-ming (484 ap. J.-C), en qualité d’ambassadeur auprès de l’empereur de Chine pour lui représenter que le royaume de Lin-y fatiguait ses voisins par des excursions et des brigandages continuels, et pour lui demander de confier au roi du Fou-nan le commandement de quelques troupes avec le concours desquelles celui-ci se chargerait de détruire complètement ces hordes de voleurs. Le moine apporta comme présents à l’empereur une statue du roi Dragon faite entièrement en fils d’or ; un éléphant en pe-tan, bois blanc très-dur et très-odorant ; des tours en ivoire, deux kou-pey ou perles très-précieuses par leur antiquité, deux vases en cornes de rhinocéros admirablement sculptés, un plateau en écaille pour offrir le bétel et l’arec. »

« Le fils de Kiao-tchen-jou, Tche-li-to-pa-mo, renouvela ces ambassades et envoya, en 503, une statue du dieu Fo à l’empereur Ou-ti des Liang. Cette statue était faite d’une pierre précieuse nommée Chan-fou. La cinquième année Ta-thoung du même empereur (540 ap. J.-C.) on annonça la découverte au Cambodge d’un cheveu de Fo, long de douze coudées, et des prêtres bouddhistes furent envoyés de Chine pour participer aux cérémonies faites en l’honneur de cette relique[1]

L’avènement du roi Kiao-tchen-jou semble marquer au Cambodge comme une nouvelle époque où les traditions indiennes se renouvellent et se complètent. Le moine du pays de Thien-tchou, dont parlent les historiens chinois, est-il un de ces apôtres légendaires qui ont parcouru l’Indo-Chine ? Malheureusement, les mêmes traditions religieuses se retrouvent avec quelques variantes dans tous les royaumes de la péninsule, et présentent un trop grand degré d’incertitude pour qu’on puisse les appliquer à tel ou tel point de l’Indo-Chine. Elles semblent n’être que l’écho de l’histoire de Bouddha et de ses principaux disciples, défigurée au gré des convenances locales. Il est nécessaire cependant de s’arrêter ici à la légende relative à Prea Ket Meléa, le roi cambodgien qui aurait bâti Angcor Wat et qui aurait vécu, d’après les indigènes, en l’an 1000 de Bouddha, c’est-à-dire environ à l’époque à laquelle nous sommes arrivés. Ce prince, converti par Buddhaghosa, lui aurait donné Angcor Wat, dont la destination première était un palais, pour en faire un temple bouddhique. Entre la qualité de sectateur des brahmanes attribuée à Kiao-tchen-jou et la ferveur bouddhique déployée par son fils, se place une conversion religieuse qui porte à identifier le premier de ces deux princes avec Prea Ket Meléa. L’examen des dates chinoises confirme le long règne que la tradition lui accorde, et Buddhaghosa, d’après les récits singalais, est exactement

  1. C’est à peu près à la même époque, sous le règne du roi Mougallana (495-515), qu’une relique de même nature fut apportée de l’Inde à Anouradhapoura, capitale de Ceylan (Turnour, An epitome of history of Ceylan, p. 29.)