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mier[1]. Ce peuple semble avoir fait partie de l’empire de Porus et avoir été du nombre de ceux que Séleucus rétrocéda ensuite à Chandra Gupta (305 av. J.-C). Les inscriptions de Kapour di Giri le mentionnent parmi les sujets du roi Piyadasi que l’on identifie avec Açoka (250 av. J.-C). Peut-être a-t-il fait partie ensuite de l’empire de Kanichka ou Kanerkes, qui régnait à Kaboul et à Peichaver, un siècle environ avant notre ère. On rencontre le nom d’un Bhikschu cambodgien parmi ceux des pèlerins inscrits sur les monuments de Bhilsa. Enfin, dans les textes du nord et du sud, le Kamboja figure comme un pays où fleurit le bouddhisme et où abondent les chevaux, et la région qu’il comprend se trouve déterminée d’une façon précise[2]. Dans la littérature postérieure, il n’est plus question des Kambojas, et il semble que ce soit l’invasion musulmane qui ait fait disparaître leur nom de ces contrées, à moins que l’on n’adopte l’opinion de Lassen qui croit le retrouver de nos jours dans celui d’une peuplade de l’Hindou Kousch, les Kamoze[3].

Sont-ce là les ancêtres des Khmers ? Il semble bien difficile de l’admettre. Quelle que soit la quantité de mots empruntés au pali que contienne le cambodgien, le fond même de cette langue n’est pas de source aryenne ; si l’on fait abstraction des expressions religieuses, administratives et politiques que la masse du peuple ne comprend guère, et qui forment une sorte de langage officiel, apanage d’un nombre restreint de prêtres et de grands personnages, le cambodgien est un idiome à tendance monosyllabique sans flexions, que l’on doit exclure de la famille des langues caucasiques. Au point de vue ethnographique, il parait également impossible de détacher les Khmers actuels du rameau mongol, dont ils forment une des branches les plus foncées, pour les rattacher aux peuples occidentaux. Le trait le plus saillant de la physionomie des Kambojas du nord-ouest de l’Inde qui apparaisse dans les ouvrages hindous est d’être chauves, c’est-à-dire de se raser la tête ; ce n’est peut-être là qu’une allusion à la grande extension du bouddhisme parmi eux. D’après les historiens chinois, les anciens Cambodgiens portaient au contraire les cheveux longs.

Il existe, aux confins de l’An-nam, de la Cochinchine française et du Cambodge sur la rive gauche du Se Cong, affluent du Mékong, par le 14e degré de latitude environ, une race d’hommes peu connue et peu nombreuse, qui présente une physionomie assez

  1. As. Res., t. V, p. 288, t. VI, p. 516. Wilford fait du Kamboja la résidence de Cala Yavana ou Calyun, le Deucalion des Grecs.
  2. Cf. Vivien de Saint-Martin, Académie des Inscriptions, Savants étrangers, t. VI, p. 110 ; Reinaud, Mémoire géographique, historique et scientifique sur l’Inde antérieurement au milieu du xie siècle, p. 77-83 ; Wilson, The rock inscriptions of Kapur di Giri, etc. J. R. A. S. t. XII, p. 189. Cunningham, The Bhilsa topes, 237 ; la carte de M. Vivien de Saint-Martin qui accompagne la Vie et voyages de Hiouen Thsang, trad. Stanislas-Julien, etc., etc.
  3. Lassen (op. cit., t. I, p. 383, n. 2). Les Kambojas sont encore mentionnés dans une inscription trouvée en 1800, à Chitradurg, et remontant à la fin du XIVe siècle. « Lorsque l’armée du roi (de Bisnagar) s’avançait sur les frontières de son royaume, les Tourashcas sentaient leur bouche se dessécher, les Concanas tremblaient pour leur vie ; les Andhras s’enfuyaient consternés dans leurs cavernes, les Kambojas perdaient leur fermeté » (Colebrooke, As. Res., t. IX, p. 429.) Il ne faut voir peut-être dans l’emploi de ces anciennes dénominations qu’une recherche d’archaïsme, habituelle aux brahmanes qui rédigeaient ces inscriptions ; peut-être aussi s’agit-il ici réellement des Kambojas de l’Indo-Chine, qui, comme nous le verrons plus loin, sont mentionnés dans les ouvrages tibétains modernes.