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et religieuse des Cambodgiens prouvent surabondamment que ceux-ci, loin d’être une branche détachée d’une souche qui leur serait commune avec les Siamois, les ont précédés de plusieurs siècles dans l’habitation de la partie méridionale de l’Indo-Chine[1].

Si nous consultons maintenant la volumineuse littérature de l’Inde, nous trouverons tout d’abord les noms de Kamboja et de Tsiampa dans la liste des nombreux royaumes de la péninsule. Cette identité d’appellation est-elle la preuve d’une communauté d’origine, ou ne faut-il y voir qu’un de ces transports de nom si communs à une certaine époque dans les pays au delà du Gange ?

Un savant indianiste, M. Fergusson, n’a pas hésité à adopter la première hypothèse. Le Muong Rom, situé près de Taxila, de la légende cambodgienne, n’est autre, selon lui, que le Kamboja de la littérature indoue, et la religion primitive des Cambodgiens était le culte des serpents, dont Taxila était l’un des centres dans l’Inde. Le dragon qui s’étale partout sur les chaussées, sur les murailles, et jusque sur les toits de la pagode d’Angcor, la profusion avec laquelle les bassins et les pièces d’eau sont prodiguées à l’intérieur et autour de l’édifice, lui semblent démontrer que le serpent était la seule divinité qui fût adorée en ce lieu. Il croit que cette émigration des Kambojas a eu lieu postérieurement à 318 de notre ère, qu’elle s’est continuée au cinquième et au sixième siècle pour atteindre son maximum d’intensité à l’époque des persécutions religieuses des dixième et onzième siècles. Il indique enfin, — et nul n’est juge plus compétent que lui sur cette matière, — quelques ressemblances entre l’architecture des plus anciens monuments du Cachemire et celle des ruines d’Angcor[2].

Dans le Ramayana, le Mahabharata et les Pouranas, les Kambojas sont cités incidemment, à plusieurs reprises, avec d’autres peuples Mlecchas ou barbares nés de la vache de Vaçishta[3]. D’après le livre des lois de Manou, ce sont des Kshatryas ou guerriers déchus

  1. Je crois qu’il est difficile de faire remonter bien haut l’établissement des Siamois dans la partie inférieure de la vallée du Menam, et que les dates données par Laloubère (Du royaume de Siam, t. I, p. 25-26) sont encore celles qui paraissent les plus vraisemblables. D’après les traditions qui lui furent rapportées, il place au huitième siècle les débuts dans l’histoire du royaume siamois. Il faut à cette époque en chercher la capitale tout à fait au nord de la vallée du Menam, si ce n’est même au delà. Ce ne serait que vers la fin du douzième siècle, que les Thaï auraient commencé à dominer le cours inférieur de cette rivière qui avait appartenu jusque-là au Cambodge, et à refouler les populations autochtones, Karens ou autres, dans les montagnes situées à l’ouest. Il est possible que les Thaï aient trouvé déjà des colonies de brahmanes établies dans le haut de la vallée du Menam (Voy. Bastian, op. cit., 1. I, p. 358) et qu’ils aient adopté leurs traditions. Mais, à l’exception de Kamphoxa Nakhon, aucun fait historique n’autorise à faire remonter bien haut les fondations de villes, attribuées à Bathamarat : la ville d’Haripounxai n’est autre peut-être que Labong ou Laphon à laquelle Mac Leod assigne pour nom pâli Harijungia (p. 78 de son Journal, dans les Parliamentary Papers de 1869), et qui eut pour fondateurs Wathou Daywa (Vasudeva) et Taka (le Sokha Kouman de Pallegoix). Or, les annales de Labong et Xieng Mai rapportent à l’année 575 après J.-C. (1118 de Bouddha), la fondation de cette ville (Richardson, J. A. S. B., t. VI, p. 55).
  2. Tree and serpent’s Worship, p. 48. La région, jadis très-marécageuse, au milieu de laquelle est bâtie la ville d’Angcor a dû pulluler de serpents, et ce fait seul suffirait à expliquer que les indigènes aient fait de ces dangereux animaux l’objet d’un culte, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une importation étrangère. Il semble d’ailleurs, d’après les légendes mêmes rapportées par le Dr Bastian, et sur lesquelles s’appuie M. Fergusson, que l’émigration hindoue est venue détruire au Cambodge le culte du serpent et non l’apporter.
  3. Voici l’indication de quelques-uns de ces passages qui résument à peu près tout ce que cette catégorie d’ouvrages nous apprend sur le Kambodja hindou :