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« Jadis, disent ces auteurs (voy. note 2, p. 102), le Fou-nan était sous l’autorité d’une jeune fille nommée Ye-licou ou Licou-ye ; mais dans la suite ce fut un étranger du nom d’Houen-houy, d’autres disent Houen-tien, qui s’empara de la dignité royale. Cet homme habitait le royaume de Ki (ou Kiao dans le Hay koue thou tchi)[1] et adorait une divinité supérieure. Une nuit, celle-ci lui apparut, lui ordonna de s’armer de l’arc et des flèches qu’il trouverait dans son temple et de s’embarquer sur la mer. Houen-houy, à son réveil, se rendit au temple, y trouva l’arc et les flèches, et, muni de cette arme surnaturelle, suivit des marchands qui se rendaient par mer au royaume de Fou-nan. À l’annonce de son arrivée, la reine Ye-licou vint à sa rencontre avec des troupes, pour s’opposer à son débarquement ; mais Houen-houy lança une flèche qui, après avoir traversé de part en part le navire qui portait la reine, alla tuer un de ses soldats : Ye-licou, saisie de crainte, se soumit aussitôt. L’étranger lui ordonna de se vêtir, de rassembler ses cheveux sur sa tête, et la prenant pour épouse, régna sur le Fou-nan. »

Il est difficile, ce me semble, de ne pas reconnaître ici l’histoire, presque entièrement dégagée de tout ornement mythologique, de Prea Thong et de Nang Nakh.


§ 3. — Sources siamoises et hindoues.


Les récits siamois reproduisent en bien des points les traditions des Khmers. Je n’en rapporterai ici que ce qui peut apporter un élément nouveau à la question historique qui nous occupe. Dans le Phong savada muong nua, ou « histoire du royaume du nord[2] », il est dit que les descendants de deux brahmanes qui avaient embrassé la religion de Bouddha, se réunirent sous le commandement de Bathamarat, leur petit-fils, pour construire la ville de Savan Tevalok, ou Sangkhalok, à l’intérieur de laquelle ils élevèrent des pagodes pour les prêtres de Bouddha, et des temples dédiés à Siva et à Vichnou. Bathamarat épousa Nang Mokhalin, native d’Haripounxai, et bâtit encore trois villes sur lesquelles il établit rois ses trois fils. Le premier, Sokha Kouman, régna à Haripounxai ; le second, Thama Kouman, à Kamphoxa Nahkon ; le troisième, Singha Kouman, à Phexaboun. Ceci avait lieu vers 450 de l’ère de Bouddha. Vers 950 de la même ère, les mêmes annales nous montrent le pays des Sajams sous la domination du roi de Kamphoxa Nakhon, racontent la mystérieuse naissance de Phra Buang qui opère l’affranchissement des Sajams, devenant désormais les Thai ou « hommes libres », invente un nouvel alphabet Thai, et ordonne de ne plus employer l’alphabet cambodgien, ou Khom, que pour l’écriture des livres sacrés.

On voit que ces annales attribuent une origine commune aux Cambodgiens et aux Siamois, et les font arriver dans le Sud de l’Indo-Chine par la vallée supérieure du Menam. Mais il faut faire ici une large part à la vanité nationale : la différence absolue des races et des langues, les contradictions du récit siamois, l’aveu de la suprématie politique

  1. D’après le Pien y tien (Historiens de la dynastie des Liang), Houen-tien était originaire du royaume de Ki, mais habitait la partie méridionale du royaume de Ye-licou quand il eut la vision rapportée.
  2. Voy. Pallegoix, Description de Siam, t. II, p. 59 et suiv., et Grammatica linguæ thai, p. 158 et suiv.