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de quels secours pouvaient être les sources chinoises pour le sujet qui nous occupe. Nous allons résumer rapidement ce qu’elles contiennent sur les origines du Cambodge. L’illustre sinologue que je viens de nommer avait indiqué la voie à suivre dans ces recherches, et désigné le royaume de Fou-nan comme celui qui avait historiquement précédé le royaume de Tchen-la ou de Tchin-la, noms donnés au Cambodge dans la description déjà citée de la ville d’Angcor. On peut donc s’étonner, depuis que les ruines du Cambodge ont attiré l’attention des orientalistes, que cette indication ait passé inaperçue et que quelques-uns d’entre eux se soient évertués à chercher le Cambodge là où il ne pouvait être[1].

Les descriptions faites du territoire du Fou-nan doivent faire chercher l’emplacement de ce royaume sur les côtes du golfe de Siam. C’est au Fou-nan que paraissent se rapporter la légende de Prea Thong et quelques-unes des traditions khmers citées plus haut qui prennent dans les auteurs chinois un caractère historique indiscutable.

« Le royaume du Fou-nan, disent ces auteurs[2], est à plus de 3,000 li à l’ouest du royaume de Lin-y et à 7,000 li au sud du Ji-nan[3]. Il est situé sur les rivages de

    les pousser plus avant. Je dois ici remercier spécialement M. Pauthier pour la bienveillance avec laquelle il a mis sa riche bibliothèque chinoise à la disposition de mon lettré.

  1. Le Journal officiel du 12 décembre 1871 annonce que M. le marquis d’Hervey a découvert dans Matouanlin l’histoire du royaume du Cambodge et des ruines d’Angcor. Ce royaume serait désigné par le grand encyclopédiste sous le nom de Piao ; sa capitale s’appellerait Yang-tsin, et ses relations avec la Chine commenceraient en 802. Il ne peut y avoir là qu’une méprise de journaliste. M. d’Hervey est un sinologue trop instruit pour ignorer qu’en 802 le Cambodge était connu des Chinois sous le nom de Tchin-la, et que la description de la ville d’Angcor a déjà été donnée par A. Rémusat, d’après les sources chinoises, il y a plus d’un demi-siècle.
  2. Voy. Hay koue thou tchi, k. 8, fo 6, Pien y tien, k. 97, fo 1 et suivants, d’après les historiens des Tsin, des Tsi et des Liang. Cette description du Fou-nan s’applique donc à l’époque comprise entre 265 et 556 ap. J.-C.
  3. Le Chouy kin tchou tchou tchi, cité par le Pien y tien, indique 4,000 li pour la distance entre Lin-y et Fou-nan et ajoute qu’il y a deux routes, l’une fluviale, l’autre terrestre, pour se rendre d’un de ces royaumes dans l’autre. La route par eau est celle du fleuve Tong-chan.

    On s’accorde aujourd’hui à faire du Lin-y l’une des anciennes dénominations chinoises du Tsiampa, royaume qui occupait, pendant la dernière période de son histoire, la partie méridionale de la Cochinchine. Mais toute identification de cette nature ne peut être absolue qu’au point de vue de la race ou du peuple dont on essaye de fixer l’histoire, et ne doit avoir, au point de vue géographique, qu’une signification restreinte à une époque déterminée. Les différentes invasions mongoles qui ont peuplé la péninsule ne se sont avancées que progressivement vers le sud, et, en remontant aux origines historiques du peuple annamite, par exemple, on le trouverait établi complètement en dehors et au nord du territoire qu’il possède aujourd’hui. C’est pour n’avoir pas tenu compte de ces déplacements que M. de Rosny a été amené à confondre le peuple de Lin-y et les Annamites, et à réunir en une seule deux nations qui se sont fait, pendant plusieurs siècles, la guerre la plus acharnée.

    Le Lin-y doit être cherché, à l’époque où nous place la description chinoise du Fou-nan, dans l’espace compris entre le Cambodge à l’ouest, l’Océan indo-chinois à l’est, le Song Ba au nord, et le 12e degré de latitude au sud. À la même époque, le Ji-nan comprenait la partie occidentale et centrale du Kouang-si. Les noms de ces deux pays, qui tantôt se constituèrent en royaumes indépendants, et tantôt furent gouvernés par des fonctionnaires chinois, se prononcent en annamite Lam-ap et Nhat-nam. On sait que les Annamites n’ont d’autre écriture que l’écriture chinoise, mais qu’ils en lisent différemment les caractères. Mon ami, M. Luro, lieutenant de vaisseau, a bien voulu m’indiquer cette lecture pour chacun des noms géographiques chinois qui avaient chance de se retrouver dans les annales annamites. C’est ainsi que j’ai pu utiliser les traductions et les citations du P. Legrand de la Liraye. (Notes historiques sur la nation annamites, Saigon, 1865. (Cf. Biot. Dictionnaire des noms géographiques de l’empire chinois, p. 64, art. Khing-yuen fou ; E. Cortambert et L. de Rosny, Tableau de la Cochinchine, p. 161 et suiv.) Les distances que l’on trouve dans les auteurs chinois sont comptées entre les villes capitales de chaque royaume, et non d’une frontière à l’autre.