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bodge, Siam, n’aurait été habité à l’origine que par des sauvages sans religion, sans lois et sans agriculture. Ces peuples ignorants et vivant comme les bêtes des forêts virent un jour sortir des rayons du soleil levant un homme admirablement beau et dont l’aspect commandait le respect et l’obéissance. Ils lui demandèrent humblement ce qu’il voulait. Il répondit en langue tenasserim qu’il était fils du soleil et de la terre et qu’il venait pour régner au milieu d’eux. On se prosterna devant lui ; il poliça ses nouveaux sujets et leur apprit à construire des villes. Ce roi régna longtemps et à sa mort divisa son empire entre ses nombreux enfants. Ceux-ci portèrent tous le nom de Suriavas ou « descendants du soleil », et l’un d’eux aurait régné à Ceylan. Telle est sans doute la consécration légendaire de l’invasion hindoue qui apporta aux populations de l’Indo-Chine le culte et la civilisation de l’Inde.

La tradition locale a conservé au Cambodge le souvenir d’une émigration indienne : à ce moment, le pays s’appelait Couc Thloc, quelques-uns ajoutent que ce nom désignait plus spécialement Pnom Penh et que la mer venait alors jusqu’à ce dernier point. Les émigrants s’appelaient Chhvea pream ; ils étaient noirs, portaient les cheveux longs et venaient de Purean nosey (Banarasi ou Bénarès), pays voisin de Cobel lephos où naquit Sammonocodom. Ce fait aurait eu lieu 289 ans après la mort de ce saint, c’est-à-dire en 254 avant notre ère, si l’on adopte avec les Singalais 543 pour l’origine de l’ère bouddhique, ou en 188, si l’on prend, avec le savant professeur Muller, 477 pour date probable de la mort de Çakya Mouni.

Tous les récits indigènes sont loin d’être aussi simples que celui-ci et de s’accorder sur la nature, les circonstances et la date de la fondation du royaume cambodgien. Il est utile de les résumer ici pour y retrouver quelques notions sur les premiers habitants du sol et sur les différentes phases religieuses qu’a traversées cette civilisation singulière.

À l’origine, les eaux couvraient entièrement la terre du Cambodge, à l’exception d’une seule île appelée Couc Thloc, qui s’était élevée graduellement au-dessus des eaux. Le roi des serpents, Phnhéa Nakh, venait quelquefois s’y étendre au soleil ; sa fille Nang Nakh aimait aussi à s’y promener dans la solitude. Prea En (Indra) la vit, fut séduit par sa beauté, et le fruit de leurs communs amours fut un bel enfant nommé Prea Ket Melea. Indra voulut l’emmener avec lui dans sa céleste demeure, mais les autres dieux s’y opposèrent. Indra renvoya son fils au Cambodge en lui adjoignant 7 prêtres, 7 nobles et 7 brahmanes, et Prea Pus Nuca (Visvacarma) bâtit pour lui la cité d’Enthapatabouri[1]. Le roi Pathummasurivong ou Prea Thomea Sorivong, petit-fils d’Indra et de Nang Nakh (Padma Sourya Vansi, « né du lotus et du soleil ») monta sur le trône vers l’an 1000 de l’ère de Bouddha :

  1. Indraprastha « plaine d’Indra », nom de Delhy, qui a été, comme beaucoup d’autres, transporté de bonne heure à l’est du Gange. Ptolémée (liv. VII, chap. II), place entre les monts Bepyrrhus et Dabussæ, une peuplade qu’il nomme Indaprathæ. M. Vivien de Saint-Martin (Étude sur la géographie grecque et latine de l’Inde, p. 345), estime que ce nom désigne un établissement brahmanique, qu’il place dans la vallée de l’Assam. La géographie de Ptolémée, à l’est du Gange, paraît encore trop incertaine, malgré les progrès que lui ont fait faire les recherches du savant géographe, pour qu’on ne puisse pas se demander si les Indaprathæ de Ptolémée ne désignent pas le Cambodge.