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Le reste de l’inscription est une invocation dont voici le résumé : « Moi Srey Soconbat et ma femme, nous avons le cœur religieux, et tant que nous devrons rester en ce monde pour l’achèvement de nos fautes, nous demandons que notre affection dure toujours, que nos richesses soient bien employées, que nous suivions les préceptes de la loi, que nous songions toujours au beau royaume du repos. Et lorsque Prea Seyor arrivera et avec lui le feu général et la fin du monde, nous demandons à quitter tous deux cette terre pour le ciel, et à voir notre nom toujours glorifié. »

D’après les usages cambodgiens, cette pierre est commémorative de la consécration de la pagode. C’est l’Oknha Jos qui l’a fait élever, et le prêtre Maha Neac-Casen Bapit qui a rédigé l’inscription.

Ce monument était-il isolé ? Les habitants qui l’appellent Prea-chey Prea-a ne signalent aucun vestige d’habitations anciennes ou d’édifices dans le voisinage. Ils se servent cependant quelquefois du mot Angcor pour désigner ce lieu. Cette dernière appellation semble indiquer qu’il y avait là une résidence royale. Angcor n’est point un nom propre de ville. Ce mot est identique à Nocor (Nagara), qui signifie en cambodgien « pays de roi, ville royale ». Un grand nombre de lieux ont conservé cette désignation : Angcor Thom, Angcor Borey, Angcor Reach (Korat). Le véritable nom propre d’Angcor la Grande est Enthapat. Il y a à 25 milles au-dessus de Chaudoc un Angcor qui a été résidence royale. Pnom Rachey a donc pu être une résidence de ce genre, et quelques mandarins instruits affirment en effet qu’il existe une tradition d’après laquelle il y aurait eu là jadis la demeure d’un prince rebelle, séparé de sa famille qui dominait à Angcor la Grande[1].


Après avoir parcouru cette longue série de ruines, on reste frappé de n’avoir constaté nulle part dans ce pays où la civilisation s’était élevée si haut, et où devaient se grouper des populations nombreuses, des traces un peu importantes de l’habitation des hommes. On ne trouve pas un pan de mur, pas un morceau de brique qui ne semble se rattacher à quelque grand édifice religieux ou royal. Il faut donc admettre que, comme de nos jours, les maisons du peuple étaient construites en bois ou en bambou et recouvertes en paille.

Les rois eux-mêmes n’avaient-ils point des demeures semblables ? Quelle était la destination réelle des grandes constructions comme Ta Prohm ou Preacan ? Il nous paraît qu’elle était avant tout religieuse[2]. Ces monuments portent l’empreinte d’une époque de foi ardente ; ils en sont les produits vivaces et spontanés. Toujours, au centre ou au sommet de

  1. Sans remonter aussi haut, on verra dans le chapitre suivant qu’au commencement du dix-septième siècle il y avait à Pnom Bachey une résidence royale. Consultez la traduction annotée que j’ai donnée du récit du voyage de Wusthof au Laos, dans le Bulletin de la Société de géographie, oct. 1871, p. 252, texte et note 5.
  2. Je conserve ici l’appréciation du commandant de Lagrée ; mais il semble résulter des traditions et de quelques témoignages écrits des Cambodgiens eux-mêmes, que la plupart des grands monuments qui viennent d’être décrits ont dû être à l’origine des résidences royales, et que leur consécration au culte bouddique n’a eu lieu que plus tard. (Voy. ci-après, p. 120.)