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vert[1]. L’intime analogie de forme et de structure que présente cette tour avec les pyramides modernes du Cambodge, notamment avec celle de Pnom Penh fournit un argument de plus en faveur de cette hypothèse.

Les murs du sanctuaire sont ornés de fausses fenêtres différentes de celles que nous avons rencontrées jusqu’à présent ; elles n’ont que trois barreaux sculptés qui s’arrêtent à un petit appui tracé à la partie inférieure. Entre deux fausses fenêtres consécutives, sont des niches terminées par un arc ogival à trois lobes ; elles renferment des statues de femmes en-demi relief, nues jusqu’à la ceinture, la tête chargée d’une riche coiffure et tenant à la main une fleur de nénuphar. Tout le reste du mur est couvert d’arabesques et de rosaces, sculptées à une très-faible profondeur.

Au sud du sanctuaire est une pierre qui porte une inscription. Le chef des bonzes du Cambodge, à qui elle a été présentée, a déclaré qu’elle est en partie écrite en vieux caractères cambodgiens, et il en a pu comprendre le sens général qui est à peu près le suivant.

Sur le petit côté de la pierre, on lit d’abord : « L’an de l’ère sacrée 1488, année « Khal[2], le soir du jeudi 14 du mois Asat[3], l’Oknha[4] Jos Srey Soconbat a enterré ces reliques sacrées au milieu du sanctuaire élevé qui est dans la forêt de Pnom Bachey. Mon nom est Maha Neac-Casen Bapit[5]. »

  1. Des moulages en soufre, représentant quelques-unes de ces sculptures, sont à l’exposition permanente des colonies.
  2. Les Cambodgiens, comme tous les peuples qui ont puisé en Chine les éléments de leur calendrier, se servent pour supputer le temps d’un cycle duodénaire dont chaque année porte le nom d’un animal. Voici ces noms dans l’ordre où ils se succèdent : ckhlou, bœuf ; khal, tigre ; thâs, lièvre ; rong, dragon ; mosanh, serpent ; momi, cheval ; mome, chèvre ; voc, singe ; roca, coq ; cha, chien ; cor, porc ; chut, rat. Ces mots ne sont point les termes employés dans le langage usuel pour désigner ces animaux. L’ère de Bouddha, qui est employée ici, ferait remonter à 945 a. d. la construction de Pnom Bachey. Quoique le mode d’intercalation employé aujourd’hui par les Cambodgiens ne soit pas le même que celui des Chinois, les relations incessantes des deux pays ont toujours fait régler à des intervalles très-courts le calendrier de l’un sur celui de l’autre. Dans les chroniques cambodgiennes, le même nom d’animal revient très-régulièrement à chaque période de douze années solaires, et l’on en peut conclure qu’au moins depuis 1346 a. d., date à laquelle commencent ces chroniques, l’année solaire est l’unité de temps cambodgienne. Dans cette hypothèse, l’année 1866 ayant été une année khal, le nom de l’année 945 aurait dû être mosanh, ou au plus rong. Il faut donc conclure de ce défaut de coïncidence, ou que l’année solaire n’a pas été employée d’une façon continue par les Cambodgiens de 945 à 1346, ou qu’il y a erreur dans l’indication de l’ère employée. L’année 1566, qui correspond à 1488 de l’ère de Salivahana, seule usitée dans les chroniques cambodgiennes, a porté le nom de khal. À cette époque le Cambodge jouissait d’une prospérité et d’une tranquillité momentanées qui ont pu permettre, non l’édification de Pnom Bachey dont l’origine est certainement plus ancienne, mais une restauration de ce monument. La facilité avec laquelle l’inscription rapportée ci-dessus est lue aujourd’hui par les prêtres cambodgiens prouve qu’elle est écrite dans un langage moins ancien que celui des vieilles inscriptions d’Angcor et de Leley. J’ai demandé à M. Janneau, inspecteur des affaires indigènes en Cochinchine, qui s’occupe en ce moment sur les lieux mêmes de recherches épigraphiques, de m’envoyer une empreinte de cette inscription ; l’étude des caractères qui la composent pourrait amener à fixer sûrement son âge, et aider à déchiffrer les inscriptions plus anciennes. Je ne sais si cette empreinte m’arrivera à temps pour que je puisse la donner dans le présent ouvrage.
  3. Le quatrième mois de l’année cambodgienne : il répond environ à mai-juin.
  4. Titre commun à la grande majorité des fonctionnaires cambodgiens.
  5. Ces mots sont très-probablement le titre de l’abbé de Pnom Bachey, et si leur transcription en caractères latins est exacte, on peut y retrouver le nom de Nagasena, qui se rencontre très-souvent avec celui de Buddhaghosa, dans les titres pris en Indo-Chine par les chefs des principaux couvents.