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gnon vénéneux. On sait combien de vies ont été décidées par la lecture d’une mauvaise page.

« Je relisais précisément, ces jours derniers, un livre de Pierre de Coulevain. « La littérature, disait l’auteur, peut vivifier, elle peut tuer aussi ». Et il citait l’exemple d’un jeune homme qui était mort d’une page, d’une phrase, qui lui était montée au cerveau comme le plus capiteux des vins et avait décidé de son sort. Et Pierre de Coulevain, en achevant le récit de cette triste histoire, dit : « L’auteur, qui a été l’agent inconscient de toute cette douleur, est un homme excellent, un esprit brillant mais vulgaire. Il a peut-être écrit la phrase homicide, la cigarette aux lèvres et les épaules secouées par un petit rire de satisfaction, trouvant que c’était très fort ».

« Oui « très fort » ; l’auteur le laisse modestement entendre, le critique adulateur le déclare et le lecteur du Café du commerce le répète. De la ville, le livre se répand jusque dans la campagne, et l’on rencontre dans la lande la gardeuse de brebis qui a glissé sous son capulet le mauvais roman, passé de mains en mains, et qu’elle a encore la pudeur de vouloir cacher.

« Mais, qui plus est, ces mauvais bergers de la littérature ne se contentent pas de mal faire la garde des esprits, ils revendiquent presque un rôle moral,