Ma vie est ici, dans cette maison où plane le cher souvenir de ma mère ; dans ce pays dont le moindre site nous rappelle notre enfance et notre amour ; parmi les paysans qui nous aiment et à peu de distance de la grande ville, qui offrira à Jacques des distractions salutaires.
Juillet. — Nous sommes allés, hier, à la ferme de Haut-Mont, souper de laitage et de fruits. C’est une promenade charmante, d’une lieue à peine, dont une partie en forêt.
Nous connaissons de longue date la fermière de Haut-Mont ; sa maison était le but ordinaire des promenades de ma mère. J’y ai souvent joué, enfant, pendant qu’elle brodait ou lisait, assise à l’ombre des tilleuls parfumés, causant parfois avec la fermière dont la destinée, toute de chagrin, l’intéressait.
Le second mariage de ma mère n’avait pas été heureux ; une communauté de destinée avait rapproché les deux femmes, de conditions différentes, mais pareilles par la grandeur d’âme sous les apparences les plus modestes.
La fermière fut si heureuse de revoir Jeanne ! elle ne cessait de la regarder aller et venir, légère comme un oiseau, et, son chagrin endormi, rire de tout son cœur en rassemblant autour d’elle le troupeau des poules de la ferme.
— Elle sera heureuse, allez, la mignonne demoiselle, disait la bonne femme, tout en elle annonce la joie de vivre et appelle le bonheur ; mais vous, Mlle Germaine, vous êtes comme votre maman, la chère dame, vous êtes trop triste, vous lui faites peur. Ne vous laissez pas aller à ce penchant, il faut non-seulement avoir du courage dans la vie, mais il faut encore avoir le courage gai.
Je fais peur au bonheur ! Je suis, il est vrai, sérieuse et mélancolique, mais je dois remonter bien loin dans ma mémoire pour y trouver autre chose que des tristesses ; tout est grave dans mon passé : je me revois, toute jeune fille, après la mort de mon père, accompagnant ma mère en deuil. Je revois les longues années de solitude qui suivirent, dans la maison silencieuse où ma jeune gaîté n’osait éclore que pendant les trop courtes vacances de Jacques.
Plus tard, vint le second mariage de ma mère, bientôt plus triste que la solitude ; mais alors la naissance de Jeanne éclaira notre vie ; l’enfant prit tous nos instants ; je m’épanouis enfin et déversai sur elle les forces vives de mon cœur, je fus sa sœur et sa mère, car la nôtre ne se remit jamais complétement de la crise qui l’avait amenée dans la vie.
Je fus heureuse alors, mais un bonheur au-dessus de mon