Page:Louÿs - La Femme et le Pantin, 1916.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

existence matérielle n’était pas le seul motif de ce zèle tendre et ardent.

Hélas ! que n’ai-je pu l’aimer ! Je n’avais aucun reproche à lui faire. Elle n’était ni infidèle ni importune. Elle ne paraissait pas connaître mes défauts. Elle ne me brouillait pas avec mes amis. Enfin, ses jalousies, toutes fréquentes qu’elles fussent, se laissaient deviner et ne s’exprimaient point. C’était une femme inappréciable.

Mais je n’éprouvais rien pour elle.

Pendant deux mois je m’astreignis à vivre sous le même toit que Giulia, dans son air, dans sa chambre de la maison que j’avais louée pour nous deux au bout de la rue Lope de Vega. Elle entrait, passait, marchait devant moi, je ne la suivais pas des yeux. Ses jupons, ses maillots de danseuse, ses pantalons et ses chemises traînaient sur tous les divans : je n’étais même pas atteint par leur influence. Pendant soixante nuits, je vis son corps brun allongé près du mien dans une couche trop