Page:Louÿs - La Femme et le Pantin, 1916.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’illusion absolue que pour la première fois j’allais coller mes lèvres aux lèvres d’une femme et sentir un jeune corps chaud plier et peser sur mon bras.

M’élevant d’un pied sur une borne et de l’autre sur les barreaux recourbés, j’entrai chez elle comme un amoureux de théâtre, et je l’étreignis.

Elle était debout le long de moi-même, elle s’abandonnait et se raidissait à la fois. Nos deux têtes jointes par la bouche se penchaient ensemble sur l’épaule en haletant des narines et en fermant les yeux. Jamais je ne compris aussi bien, dans le vertige, l’égarement, l’inconscience où je me trouvais, tout ce qu’on exprime de véritable en parlant de « l’ivresse du baiser ». Je ne savais plus qui nous étions ni rien de ce qui avait eu lieu, ni ce qu’il adviendrait de nous. Le présent était si intense que l’avenir et le passé disparaissaient en lui. Elle remuait ses lèvres avec les miennes, elle brûlait dans mes bras, et je sentais son petit