Page:Louÿs - Aphrodite. Mœurs antiques, 1896.djvu/66

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de sa table disparaissaient l’un après l’autre ; plus d’une femme dans la ville avait une sandale ou une ceinture de lui, une coupe où il avait bu, même les noyaux des fruits qu’il avait mangés. S’il laissait tomber une fleur en marchant, il ne la retrouvait plus derrière lui. Elles auraient recueilli jusqu’à la poussière écrasée par sa chaussure.

Outre que cette persécution devenait dangereuse et menaçait de faire mourir en lui toute sensibilité, il était arrivé à cette époque de la jeunesse où l’homme qui pense croit urgent de faire deux parts de sa vie et de ne plus mêler les choses de l’esprit aux nécessités des sens. La statue d’Aphrodite-Astarté fut pour lui le sublime prétexte de cette conversion morale. Tout ce que la reine avait de beauté, tout ce qu’on pouvait inventer d’idéal autour des lignes souples de son corps, Démétrios le fit sortir du marbre, et dès ce jour il s’imagina que nulle autre femme sur la terre n’atteindrait plus le niveau de son rêve. L’objet de son désir devint sa statue. Il n’adora plus qu’elle seule, et follement sépara de la chair l’idée suprême de la déesse, d’autant plus immatérielle s’il l’eût attachée à la vie.