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le volume, je l’ai refermé et je suis remonté dans ma chambre où j’ai sangloté dans mon édredon, la tête dans mes mains, à genoux, heureux de pouvoir pleurer en pensant à mon pauvre frère et à ma pauvre maman.

« Elle s’appelait Fantine. Rappelle-toi ce nom : Fantine. Mets-toi à genoux toutes les fois que tu le prononceras. Elle a bien souffert. Et t’a bien aimée. »

Oh ! maman, maman ! ma pauvre maman ! Tout cela s’appliquait si bien à elle ! Elle a bien souffert. Et t’a bien aimée. Tu me l’as dit tant de fois.

Enfin, j’ai lavé mes yeux et je suis descendu. Élise me rencontre : « Tu as pleuré ? Pourquoi ? Monsieur Louis t’a grondé ? » Je fais signe que non. « Tu as pensé à Paul ? » Et la pauvre fille sanglote, elle aussi, sur la rampe de l’escalier. Elle me raconte pour la vingtième fois les détails de la mort de Paul : « Il est dix heures, c’est fini. Ils ne viendront plus, je ne les verrai plus ! » Pauvre frère ! Il nous aimait tant ! Et moi ! Je l’idolâtrais ! J’aurais donné vingt ans de ma vie pour pouvoir lui dire adieu ! Et dire que cela a été impossible ! Que tout le monde lui a dit adieu, jusqu’au jardinier, et que moi, son frère, je n’ai pas pu embrasser une dernière fois celui que j’aimerais plus que tout au monde. Mon pauvre frère ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! faites que je meure comme lui !