Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que jamais vous n’aurez de joie plus complète que le jour où, revenant seul un dimanche soir dans un salon de bateau-mouche, vous avez vu, pendant tout le trajet, des yeux noirs de jeune fille obstinément fixés sur vous. Seize ans ! année où l’on fait tout pour la première fois, où tout vous semble nouveau parce qu’on regarde tout avec d’autres yeux, où pour la première fois on sent le printemps, où pour la première fois on regarde les jeunes filles, et où l’on reste éveillé le soir dans son lit en songeant bien longtemps, bien longtemps, et en faisant dans le lointain des projets d’avenir irréalisables[1]. Voilà ce que c’est que d’avoir seize ans, et ce n’est pas seulement un âge chanté par les poètes ; et je suis bien aise de le noter à la première page de mon journal, pour vous le rappeler plus tard, Monsieur le sous-chef adjoint[2], et ne pas dire comme tout le monde dit maintenant : « Ah ! bast ! seize ans ! potacherie ! potacherie ! On n’est heureux qu’à dix-huit ans. » Et vous la regretterez plus tard, Monsieur, cette potacherie, je le crois bien[3].

Maintenant, assez de prosopopée, quittons les

  1. Ne me raconte pas ces tristesses-là, mon petit. À l’âge de sept ans tu as tout appris avec ta première amante qui avait huit ans, et qui trouva d’instinct, comme Blaise Pascal, les douze propositions d’Euclide.
  2. Sous-chef toi-même. Je te prie de te taire. J’ai été respectueusement l’élève des maîtres, mais jamais le sous-chef d’un chef.
  3. !! Ta bouche, bébé !