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une aube indéfinissable, plus grise que l’aurore, plus terne que le crépuscule, lueur affaiblie et tamisée loin de moi dans une atmosphère mystérieuse. La voix qui parlait en moi-même quand je lisais tout bas, restait lente et monotone, sans intention de psalmodie, mais comme éteinte et lassée par d’intarissables tristesses. La moindre inflexion m’aurait blessé comme une dissonance cruelle.


12 novembre 1890.

Gide change beaucoup. Change-t-il réellement ? Ou me suis-je mépris autrefois ? Je ne sais. Mais je l’ai bien mal connu s’il était ainsi. Depuis un an je n’ai pas passé un quart d’heure avec lui sans qu’il m’ait dit une chose blessante. Avec tout autre ami je l’aurais pris différemment, et je ne me serais pas entêté à multiplier des visites d’où je ne sortais jamais heureux. Mais le souvenir de son nom ne me venait jamais à l’esprit sans y rappeler les meilleurs moments de ma vie d’autrefois, et mes yeux, qui n’avaient pas changé, le regardaient toujours tel qu’ils l’avaient vu. Je ne pouvais croire ce que j’entendais, ce que je voyais : je ne voulais pas m’y habituer, et je mettais sur le compte de préoccupations passagères un état d’esprit qui ne variait plus. À la fin pourtant, je n’y pouvais plus tenir et j’étais tellement exaspéré