Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’histoire de l’homme pendant des centaines de siècles. Je me rapproche, je vois les pays un à un, l’Inde verte, la Perse jaune, l’Asie Mineure brune et verdâtre, la bleue Méditerranée. Je suis des yeux la route lente et invariable que suivront les civilisations, depuis le Sapla-Sind’hou jusqu’à Suse, jusqu’à Babylone, Jérusalem, Athènes, Rome, Paris, laissant au midi l’épanouissement solitaire de la mystérieuse Égypte. J’imagine le récit de cette lente migration, récit fabuleux et vrai pourtant, réel et imaginaire, fait d’histoire et de légende. Je sais qu’un homme a entrepris de faire revivre l’une après l’autre les civilisations disparues, et avant d’assister de nouveau à la résurrection des peuples morts, je me prépare selon la raison, en embrassant d’un regard l’espace immense où l’humanité va marcher à la voix d’un homme.

2e prélude (application des sens). — Je crois vivre successivement à toutes les époques antérieures, dans toutes les capitales de l’antiquité, dans tous les châteaux du moyen âge. Afin de me prouver à moi-même la perfection de l’ouvrage qui fait le sujet de ma contemplation, je ne me servirai à cet effet que des seules lumières qui m’y seront données. Je m’abstrairai de tout autre souvenir, de toute inutile réminiscence ; et dans ma mémoire mieux éclairée, je ferai lever l’évocation d’imaginaires métempsychoses. Dans « la ville énorme et surhumaine » je me verrai frère de Tsilla, l’enfant