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ainsi et que ce n’est pas près de changer ; mais ce qui est renversant, c’est l’absence de comédie ! Ce n’est pas en 1819 qu’on intitulerait « mensonges » un roman de mœurs ! Tout se fait au grand jour.

Et cependant, malgré cela, le monde est peut-être aujourd’hui plus dépravé qu’alors, précisément parce qu’il a l’air de se cacher ; comme l’a dit l’exquis poète, « il s’est fait des voiles pour jouir de la nudité », et il vient de se persuader à lui-même qu’il est vil et honteux d’aimer, afin d’éprouver quelque joie à délier le corset d’une femme. Il cache sa maîtresse sous une armure qui la déforme, afin d’oublier s’il se peut les lignes trop connues de sa silhouette ; il exagère la hauteur des épaules, la maigreur de la taille, la lourdeur de la croupe, il fait dévier le long des plis détournés le regard qui s’essaie à reconstituer la réalité, il emprisonne le ventre et les jambes dans un fourreau opaque qui ne laisse rien deviner aux yeux, il cache même sous le corsage le haut des seins que les prêtres autrefois toléraient à l’église, il cache même la figure, sous le voile, même les mains, sous les gants. Et il est fier d’être aujourd’hui moins naïf que sous le Directoire les jeunes sots qui se croyaient heureux d’être admis, chaque jour, à comparer aux Champs-Élysées les hanches de Théroigne aux flancs de Latierce, à travers leurs jupes de tulle. Et il se croit beaucoup plus civilisé parce qu’il est