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tes mains sur les draps blancs ; j’aurais voulu les voir auprès de tes tempes, extatiques et affolées, dans la stupéfaction démesurée qui transparaissait sur ton front. Quel spectacle t’avait ainsi frappé d’étonnement ? On m’a dit que ta dernière haleine avait été un soupir de dégoût pour la vie, de soulagement dans la mort. Il faut donc qu’il soit resté en toi un peu d’âme encore, pour avoir ainsi transfiguré ta chair après l’amertume du dernier instant. Avais-tu contemplé de telles merveilles que notre imagination ne peut même en concevoir l’existence ? Avais-tu vu plus loin que cet ordre éternel des phénomènes au delà duquel nous ne pouvons rien rêver ? Quel tableau avait pu imprimer à ta face cette gravité antique, cette profondeur insondable, cette immobilité sereine ?

Et qu’es-tu devenu alors ? qu’es-tu aujourd’hui ? Une âme à forme humaine, selon les mythes grecs, errante et oisive par les bois sacrés et les prairies verdoyantes ? Une ombre bienheureuse, pétale de la rose illimitée, selon le rêve de Dante, tournée à jamais vers le Christ pour recevoir de lui la lumière et la béatitude. Ou cette ombre d’extase de ton visage venait-elle de la vision de Dieu, au sein duquel tu allais rentrer, en échangeant ta forme, ta personnalité, ta conscience contre le Néant de cet Infini ?

Qui le sait ? Et d’ailleurs, qu’importe. Quel que soit ton être définitif, je ne puis croire que l’Homme