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moins cependant. Pour tout dire, je le regardais un peu comme s’il était mort.

Et puis voilà qu’il entre en classe un petit professeur à lunettes, à petits yeux, à tête chauve en carré long, avec la plus drôle de frimousse que je puisse imaginer : tout en rides pour le sourire ; une patte d’oie… invraisemblable qui s’allonge au delà de l’oreille aussitôt qu’il rit un peu, tandis que son front se plisse, tout finement, jusqu’aux cheveux, et que le bas de ses pommettes se froisse de la même manière. Mon Dieu ! On voit bien que c’est quelqu’un. Son regard, ses mouvements de bouche, sa manière de sourire, et jusqu’à la forme improbable de sa malheureuse tête, tout cela dénote « quelqu’un ». On se dit que c’est un professeur, mais un professeur très distingué. Maintenant, voilà tout ; et quant à se dire en le voyant : cet homunculus, c’est Taine, cela non ! C’est M. Benoist, c’est M. Croizet, c’est M. Bréal, tout cela tant qu’on veut. Mais l’auteur du La Fontaine, l’auteur du Voyage aux Pyrénées, l’auteur des Essais de Critique, l’auteur de la Littérature anglaise et de sa préface si remarquable, et de sa péroraison si vraie, jamais !

Je me suis toujours dit que, lorsqu’on voulait se faire une idée juste des grands hommes en les dépouillant de l’auréole dont on les entoure, et les ramener à leur niveau, il fallait se les représenter s’acquittant d’une fonction intime ou domestique