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11 janvier 88.

Taine.

Cet après-midi, pendant la classe de latin de M. des Granges, est venu M. Taine, et j’ai pu me convaincre une fois de plus que rien ne ressemble plus à M. Tartempion qu’un grand homme. Car Taine est un grand homme ; c’est un grand philosophe, un grand critique, un grand historien ; enfin c’est tout à fait quelqu’un. Je le sens d’autant mieux aujourd’hui que j’ai lu la semaine dernière son La Fontaine, et que ce livre m’a tout à fait plu. J’étais absolument emballé, et pour La Fontaine que je comprenais mieux, que je voyais sous un autre jour, et pour celui qui me l’avait fait aimer davantage.

Je me représentais donc Taine comme un homme à la physionomie profonde et intelligente, aux yeux extraordinaires, au front énorme. Sa réputation, le bruit qu’on fait autour de lui, surtout cette année à cause de ses articles sur Napoléon, la célébrité et la valeur de ses ouvrages, son nom toujours cité avec respect, ses opinions approuvées de tous côtés, ses idées admirées par tout le monde, tout cela en avait fait pour moi une sorte d’être un peu surhumain, et, quand je pensais à lui ou à ses idées, sa figure ne me venait pas aux yeux ; je ne sais comment exprimer cela, mais cela me paraît très clair en ce moment. Je le regardais un peu comme Renan, un peu comme Leconte de Lisle,