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et comme les hommes l’ont arrangé ! Dieu avait mis en présence le jeune homme et la jeune fille pour être toujours ensemble et s’aimer du matin au soir et du soir au matin. Il les avait faits de telle sorte qu’un regard de l’un des deux fait le bonheur de l’autre, qu’il donnerait dix ans de sa vie pour une mèche de cheveux et sa vie tout entière pour un seul baiser. Cela était si bien, si beau, si idéal ! qu’il semblait qu’il n’y eût qu’à le laisser ainsi et faire perpétuellement la félicité du genre humain par l’éternel commerce de la jeunesse entre elle. Eh bien ! on a éprouvé le besoin de déranger cela. On a dit : Ces enfants s’aiment, cela ne peut pas durer ainsi. Il faut changer cela. — Et on les a mis l’un bien loin de l’autre, chacun dans un dortoir malsain et triste, et on les a faits tous les deux phtisiques, l’un par abus de Boileau, l’autre par abus de chapelet ou d’Imitation. On n’a laissé à la jeune fille que les livres qui peuvent lui fausser le jugement ou lui laisser l’esprit vide. On lui retire Musset, on lui retire Hugo, mais on lui laisse Feuillet et Mme de Ségur, et Mlle de Martignat, et Jules Girardin. Et c’est seulement quand on l’a mariée à un grand dadais éreinté, qu’elle n’aime pas, qu’elle ne connaît pas, qu’on lui dit : Maintenant, lis ce que tu voudras. Et, naturellement, qu’est-ce qu’elle prend ? Zola et Maupassant. C’est inévitable.

Et je serais si heureux, mon Dieu, si j’avais