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demain, tu lui laisses faire sa cour selon les formes et tu l’exauces dans six semaines. Bon. Vous avez quinze jours, un mois, deux mois d’ivresses. Au début, tu es amoureuse sentimentale ; mais plus le temps passe et plus tu te sens prise par la chair, et plus ton amant se détache de toi. Quand tu seras toute à lui, il aura cessé de t’aimer. Quand ta seule raison de vivre sera son étreinte, tu n’en auras plus que le souvenir.

— Mais pourquoi encore ?

— Que veux-tu que je te dise ? Parce que les hommes sont ainsi, et que le seul moyen de retenir leur affection, c’est (quelquefois) de les épouser… Pauvre petite, ce moyen-là ne t’a pas réussi, mais l’autre serait pire. Le jour où Aimery Jouvelle t’abandonnera…

— Tu es effrayante.

— Je l’espère bien. Le jour où Aimery Jouvelle t’abandonnera, je connais ton caractère, tu ne lui donneras pas de successeur et il ne te restera plus rien au monde que le regret du bonheur et le remords de ta faute. Ce jour-là, ta vie sera brisée.

— Oui, Charlotte.

— Toute cette aventure finirait dans une chapelle de carmélites, je n’en serais pas surprise. Avec toi, c’est ce qu’il faut prévoir, un dénouement par le tombeau. Eh bien, puisque tu es pieuse, je suis d’avis que tu t’en souviennes aujourd’hui, lorsqu’il en est temps, et non dans