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Aracœli, d’ailleurs, ne se trouvait bien que nue. À force de naturel et d’indifférence, elle en vint lentement à faire accepter par Aimery lui-même qu’elle se présentât devant tous ses domestiques et parfois devant ses amis sans autre voile qu’une perle fixée à l’indienne sur la narine droite.

Ce n’était pas qu’elle entendît séduire personne : jamais concubine plus fidèle ne partagea le lit d’un honnête homme. Sa mère n’avait cessé de lui répéter pendant son enfance que l’homme, si docile tant qu’il est aimé, devient affreusement cruel quand il est jaloux. Aracœli avait beaucoup d’appréhensions et peu de curiosités. Et puis son amant lui plaisait. Elle l’aimait avec calme et patience, mais sans feinte aucune. Dans le petit hôtel voisin où Aimery l’installa bientôt avec deux femmes de chambre et une cuisinière pour toute maison, elle eut souvent l’occasion, jamais le caprice de le tromper.

Elle fit mieux encore : elle savait aussi par sa mère que le plus sûr moyen de s’attacher les hommes n’est pas de les astreindre, et que la favorite risque moins à tolérer les cent femmes du harem qu’à régir strictement ces longues fidélités viriles dont la rupture est toujours dramatique et souvent irréparable. Elle dit donc à Aimery, de sa très douce voix, que sa constance ne demandait pas à être payée de retour, qu’il était libre de lui donner des rivales, libre même de les lui présenter,