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C’était ce que j’avais entendu. Et il me fallait une épithète. Mais laquelle ?

L’embarrassant, c’est que je ne savais pas du tout si Elle voulait me faire écrire une épithète de couleur, de forme, de sentiment, de qualité, de lumière… Je ne savais rien, que le son du mot. Par conséquent, impossible de chercher dans Boissière.

J’ai eu la patience de prendre un dictionnaire français ordinaire, et de voir tous les mots commençant par t C’est ainsi que j’ai trouvé reconquis, le mot que j’avais mal entendu.

Et c’était la bonne épithète. Peu nous importe que cet azur soit profond, léger, immense, clair, éblouissant, liquide ou pur. Ces adjectifs-là ne sont pas dans le sujet. Je viens de dire qu’après six mois d’hiver on voit le ciel bleu pour la première fois. L’impression de mon personnage est que le bleu du printemps lui est rendu, qu’il l’a enfin retrouvé ; et comme la page est écrite à grand orchestre, si nous ne voulons pas avoir une chute, une faiblesse sur le dernier mot, reconquis est le seul synonyme qui soit assez râblé pour porter la phrase.

Est-ce curieux ?

Ce petit incident que je te raconte tout au long se reproduit constamment. Ce n’est pas l’exception, c’est la règle. Et voilà la grande différence qu’il y a entre la rédaction d’un travail logique, pour laquelle on est maître de sa réflexion et de sa pensée, et l’écriture d’un ouvrage d’imagination,