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jusqu’au verbe. Le seul mot italien que je sache est celui que nous disent les enfants quand nous leur demandons le chemin, et qui ressemble à un cri d’oiseau : Cui ! Cui ! Cui ! »

Elle riait de tout.

« Mon vieux guide avec toutes ses notes ! J’avais seize ans. Je donnais des points aux statues. Celle-ci a une croix parce qu’elle est belle. Celle-ci deux croix parce qu’elle est très belle. Et celle-ci qui est magnifique, voyez donc comme elle est marquée !

— Je suis sûr que vous avez tenu un journal intime.

— Oui !… Je n’ose plus le relire et je n’ai jamais pu le brûler. Il est d’une naïveté incroyable. Je ne savais rien du tout de la vie et j’en parlais déjà comme un vieux philosophe. On a l’âme si simple à quinze ans ! tout ce qui n’est pas le mal, c’est le bien ; tout ce qui ne fait pas pleurer, fait rire.

— Mais j’ai encore cette âme-là !

— Vraiment ?

— Et j’espère bien que vous la retrouverez, s’il est vrai que vous l’ayez perdue ! La tristesse intime, c’est le doute, l’esprit critique, l’hésitation à sentir et à juger. Ayons quinze ans ! Tranchons nos opinions ! Disons : ceci est criminel, et cela est sublime ; cette statue est hideuse et celle-là est admirable ; hier j’étais désespéré, aujourd’hui je suis fou de joie ! Voilà des phrases criées par des cœurs heureux !

— Tu as raison. Je t’aime ainsi.