Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 7.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

clarté. Pour affirmer une différence entre elle et les femmes de mon époque, j’étais obligé de croire sans autre preuve à mon discernement, comme un collectionneur distingue le vrai du faux sans que parfois il puisse démontrer qu’il se fonde sur un indice particulier pour établir sa conviction.

Comme pour se mettre à ma portée, elle s’étendit sur une chaise longue.

— Vous auriez pu au moins perfectionner les femmes, reprit-elle en souriant. Et, tu le vois, les races ont perdu. Vos médecins, qui méprisent les nôtres, pourquoi laissent-ils aujourd’hui tes maîtresses moins belles que mes sœurs ? La terre où nous vécûmes ne s’est pas engloutie. L’Oronte descend toujours du fond des montagnes de cèdres. Smyrne survit. Sparte est morte, mais Athènes est ressuscitée. Siècle vaniteux et débile, pourquoi remplaces-tu les Ioniennes par le mélange des Levantines, et que n’as-tu créé des sélections de femmes, comme tu crées des familles de roses ? Tu ne peux pas. Ton effort est celui d’un enfant. Le nôtre fut celui des dieux.

Pendant qu’elle me parlait (je n’étais guère en esprit de discuter contre elle), une terreur comme on n’en a guère que dans le frisson du demi-sommeil, m’étreignait les tempes. Je tremblais qu’elle ne me quittât tout à coup, comme un être fluide, un néant de lumière, et je me demandais si mes yeux seuls auraient l’illusion de sa présence