Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 7.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

joignit aux amants pour apaiser la récalcitrante et ne réussit pas davantage…

— C’est d’un comique extravagant ! s’écria le médecin, secoué d’hilarité.

— Tragique, mon cher ! Voilà une situation dramatique comme je n’en connais pas d’autre. Être sœur ennemie, rivale d’amour ; se confondre pour moitié avec celle qu’on abhorre ; être condamnée par la nature à voir toutes les caresses dont l’autre sera l’objet ; que dis-je, à les voir ? à les éprouver ! et plus tard à porter le fruit d’un amant deux fois détesté ! Dante n’a pas inventé cela, voilà qui dépasse en horreur les supplices des enfers chinois.

Donc, — et je reprends mon récit, — l’Italienne résolue à marier l’une de ses filles malgré l’opposition de l’autre, s’en fut trouver le maire de l’endroit et lui demanda s’il consentirait à célébrer le mariage dans de telles conditions. Le maire, indécis, répondit que la question lui paraissait être d’une complexité sans précédent ; qu’il ne se croyait pas autorisé à la trancher ; que ses travaux quotidiens ne lui permettaient pas de faire l’examen juridique d’un litige aussi délicat, et qu’enfin il priait ses administrées de bien vouloir lui envoyer (à titre de consultation) deux avocats plaidant le pour et le contre.

— Et le procès eut lieu ?

— Oui. Un procès privé, bien entendu, dans le