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Julien lui toucha la jambe :

— Tu ne dors pas ?

Elle fit nerveusement :

— Et toi ?

Il fixa quelque temps ses yeux sur les siens et reprit en lui serrant le genou dans sa main affectueuse :

— Tu penses à lui ?

Elle ricana :

— Et toi, tu penses à elle ?

Soulevé sur un coude, il secoua très doucement la tête avec un regard plein de pitié aimante, un regard de grand frère qui a déjà vécu et qui sait ce que c’est qu’un premier amour. Berthe, serrant les dents pour ne plus parler, avait pris le bout de sa natte entre ses doigts et elle ajustait machinalement le petit nœud, fait d’une ganse noire, qui étranglait la mèche blonde.

— Pauvre gosse, reprit-il, pauvre petite gosse, sais-tu comme tu as changé depuis l’autre mois ? Tu ne dors plus de la nuit, tu ne manges plus, tu n’as plus de couleurs ni de santé. Est-ce que ça va durer longtemps, cette vie-là ?

Elle répondit avec tranquillité :

— Probable que non. Je me suicide demain.

D’un seul mouvement, il l’empoigna par les épaules et la maintint en tremblant des deux bras :

— Tu te… Qu’est-ce que tu dis ? Qu’est-ce que tu as dit ? Es-tu folle ?