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« Alors je ne sais plus comment j’en trouvai la force, mais je réussis à murmurer :

« — Monsieur, je suis Esther Gobseck. »

« Il porta tout son buste en avant, me foudroya d’un regard que je ne pus soutenir, et partit d’un éclat de rire qui secoua les murs comme la commotion d’une bombe.

« Vous ? dit-il. Vous !! Esther Gobseck ! »

« J’inclinai la tête.

« — Mademoiselle, reprit-il plus calme, cette plaisanterie est détestable. Si vous voulez me cacher votre identité, libre à vous. Prenez un pseudonyme ou ne vous nommez point, mais ne ravissez pas le nom d’une autre ! Le nom est la propriété la plus sacrée que possède la personne humaine. »


« D’une main tremblante, j’ouvris ma serviette portefeuille et je lui tendis mon passeport où mon signalement se trouvait exposé.

« — Prenez-en connaissance, monsieur. Les pièces sont signées du bourgmestre… »

« Il lut, relut, dit à plusieurs reprises : « Étrange… curieux… singulier… » Puis il me considéra longuement, et, de pâle que j’étais, je devins extrêmement rouge.

« — C’est en règle, fit-il enfin. Il n’y a rien à dire, vous êtes Esther Gobseck… si extraordinaire que cela puisse sembler. »