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Elle reprit :

— Vous ne m’entendez pas. Si je veux rester ici, je saurai comment faire ; mais qui vous dit que j’y tienne tant ? L’année dernière, j’ai couché pendant trois semaines sous le rempart de la Macarena. Je demeurais là, par terre, presque au coin de la rue San-Luis, vous savez, à l’endroit où se tient le sereno ; c’est un brave homme : il n’aurait pas permis qu’on s’approchât de moi pendant mon sommeil et il ne m’est jamais rien arrivé, que des aventures en paroles. Je puis retourner là demain, je connais ma touffe d’herbe : on n’y est pas mal, croyez-moi. Dans le jour, je travaillerais à la Fábrica ou ailleurs. Je sais vendre des bananes, sans doute ? Je sais tricoter un châle, tresser des pompons de jupe, composer un bouquet, danser le flamenco et la sevillana. Allez, don Mateo, je me tirerai d’affaire !


Elle me parlait à voix basse et pourtant j’entendais sonner chacun de ses mots comme des paroles sinaïtiques dans la rue vide et pleine de lune. Je l’écoutais moins que je ne regardais bouger la double ligne de ses lèvres. Sa voix tintait dans un murmure clair comme un carillon de cloches de couvents.

Toujours accoudée, la main droite plongée dans ses cheveux lourds et la tête soutenue par les doigts, elle reprit avec un soupir :