Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 5.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je sortis de ma poche deux billets et je les posai sur une table.

Exclamations. Mains jointes. Larmes. Je passe sur ce que vous devinez. Mais quand les cris eurent cessé, la mère m’avoua en secouant la tête qu’il faudrait bien néanmoins que l’enfant reprît son travail, car la somme était due, et au-delà, au logeur, à l’épicier, au pharmacien, à la fripière. Bref, je doublai mon offrande et pris congé sur-le-champ, mettant une pudeur et un calcul également naturels à me taire ce jour-là sur mes sentiments.

Le lendemain, je ne le nie pas, il était dix heures à peine quand je frappai à la porte.

« Maman est sortie, me dit Concha. Elle fait son marché. Entrez, mon ami. »

Elle me regarda, puis se mit à rire.

— Eh bien ! je me tiens sage devant maman. Qu’en dites vous ?

— En effet.

— Ne croyez pas au moins que ce soit par éducation. Je me suis élevée toute seule : c’est heureux, car ma pauvre mère en aurait été bien incapable. Je suis honnête et elle s’en vante ; mais je m’accouderais à la fenêtre en appelant les passants, que maman me contemplerait en disant : ¡ Qué gracia ! Je fais exactement ce qu’il me plaît du matin au soir. Aussi j’ai du mérite à ne pas faire