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danseuses mènent une vie bien réglée : de huit heures du soir à cinq heures du matin elles sont en scène ; elles rentrent exténuées à l’aube, elles dorment, souvent toutes seules, jusqu’au milieu de l’après-midi. Il n’y a guère que la fin du jour dont elles pourraient abuser ; encore la crainte d’une grossesse ruineuse retient-elle ces pauvres filles, qui d’ailleurs ne se résoudraient pas tous les soirs à augmenter par d’autres fatigues les efforts d’une pénible nuit.


Toutefois, je n’y songeais pas sans inquiétude. Deux des amies de Concha, deux sœurs, avaient un frère plus jeune qui vivait dans leur chambre ou dans celles des voisines et excitait des jalousies dont je fus témoin plusieurs fois.

On l’appelait le Morenito[1]. J’ai toujours ignoré son vrai nom. Concha l’appelait à notre table, le nourrissait à mes frais et me prenait des cigarettes qu’elle lui mettait entre les lèvres.

À tous mes mouvements d’impatience, elle répondait par des haussements d’épaules, ou par des phrases glaciales qui me faisaient souffrir davantage.

« Le Morenito est à tout le monde. Si je prenais un amant, il serait à moi comme ma bague et tu le saurais, Mateo. »

  1. « Le petit brun »