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La rue devait être blanche et les maisons blanches aussi, mais la flamme du soleil perpendiculaire lavait les surfaces éclatantes avec une telle furie de reflets, que les murs de chaux et les dalles réverbéraient à la fois des incandescences prodigieuses de bleu d’ombre, de rouge et de vert, d’ocre brutal et d’hyacinthe. De grandes couleurs frémissantes semblaient se déplacer dans l’air et ne couvrir que par transparence l’ondoiement des façades en feu. Les lignes elles-mêmes se déformaient derrière cet éblouissement ; la muraille droite de la rue s’arrondissait dans le vague, flottait comme une toile, et à certains endroits devenait invisible. Un chien couché près d’une borne était réellement cramoisi.


Enthousiasmé d’admiration, Démétrios vit dans ce spectacle un symbole de sa nouvelle existence. Assez longtemps il avait vécu dans la nuit solitaire, dans le silence et dans la paix. Assez longtemps il avait pris pour lumière le clair de lune, et pour idéal la ligne nonchalante d’un mouvement trop délicat. Son œuvre n’était pas venue. Sur la peau de ses statues, il y avait un frisson glacé.

Pendant l’aventure tragique qui venait de bouleverser son intelligence, il avait senti pour la première fois le grand souffle de la vie enfler sa poitrine. S’il redoutait une seconde épreuve,