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les traces du fer chaud ? rien de plus désagréable que des joues peintes dont le fard s’attache au baiser ? rien de plus piteux qu’un œil crayonné dont le charbon s’efface de travers ? À la rigueur, j’aurais compris que les femmes honnêtes usassent de ces moyens illusoires : toute femme aime à s’entourer d’un cercle d’hommes amoureux et celles-là du moins ne s’exposent pas à des familiarités qui démasqueraient leur naturel. Mais que des courtisanes, qui ont leur lit pour but et pour ressource, ne craignent pas de s’y montrer moins belles que dans la rue, voilà qui est inconcevable.

— Tu n’y connais rien, Naucratès, dit Chrysis avec un sourire. Je sais qu’on ne retient pas un amant sur vingt ; mais on ne séduit pas un homme sur cinq cents, et avant de plaire au lit, il faut plaire dans la rue. Personne ne nous verrait passer si nous ne mettions ni rouge ni noir. La petite paysanne dont parle Philodème n’a pas eu de peine à l’attirer puisqu’elle était seule dans son village ; il y a quinze mille courtisanes ici, c’est une autre concurrence.

— Ne sais-tu pas que la beauté pure n’a besoin d’aucun ornement et se suffit à elle-même ?

— Oui. Eh bien, fais concourir une beauté pure, comme tu dis, et Gnathène qui est laide et vieille. Mets la première en tunique trouée aux derniers gradins du théâtre et la seconde dans sa