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bagues comme un bijou trop longtemps porté. Ah ! être reine ! »

Elle se redressa et sembla attendre. Mais Démétrios restait impassible et ne bougeait pas plus que s’il n’entendait pas. Elle reprit avec colère :

« Tu n’as pas compris ? »

Il s’accouda nonchalamment et dit d’une voix très naturelle :

« Il m’est venu l’idée d’un conte. »

« Autrefois, bien avant que la Thrace n’eût été conquise par les ancêtres de ton père, elle était habitée par des animaux sauvages et quelques hommes effrayés.

« Les animaux étaient fort beaux ; c’étaient des lions roux comme le soleil, des tigres rayés comme le soir, et des ours noirs comme la nuit.

« Les hommes étaient petits et camus, couverts de vieilles peaux dépoilues, armés de lances grossières et d’arcs sans beauté. Ils s’enfermaient dans les trous des montagnes derrière des blocs monstrueux qu’ils roulaient péniblement. Leur vie se passait à la chasse. Il y avait du sang dans les forêts.

« Le pays était si lugubre que les dieux l’avaient déserté. Quand, dans la blancheur du matin, Artémis quittait l’Olympe, son chemin n’était jamais celui qui l’aurait menée vers le Nord. Les guerres qui se livraient là n’inquiétaient pas