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Plus que tous les autres ennuis, Biôn détestait les scènes touchantes. Il frappa du doigt l’épaule de l’enfant, et lui dit :

« Adieu. Retourne chez ton père. Tu lui feras plaisir. »

Et il s’en alla tranquillement.

Mais elle courut à lui. Elle le prit par son manteau, par ses bras, par son cou et dit à la hâte :

« J’irai où tu iras, je t’aimais hier comme aujourd’hui, je n’ai jamais aimé personne, je n’aime que toi, je n’aimerai que toi… Je suis partie hier parce que j’étais jalouse de ma sœur, parce que je ne pouvais pas te partager avec ma sœur, ni t’aimer devant elle. Si je ne m’étais pas enfuie, tu m’aurais prise en passant et tu m’aurais déjà quittée. Après toi je me serais prêtée à un autre, et à un autre, et ainsi jusqu’à mon mariage. Sais-tu que ma sœur a déjà connu plus d’étrangers que je ne te dirais en ouvrant sept fois mes deux mains ? Et moi aussi, j’aurais fait cela ? Ô je sens si bien que toute ma vie j’appartiendrai au même homme, au premier qui m’aura saisie. Et c’est toi celui-là ! Emmène-moi, garde-moi toujours ! Je veux être ta femme et te suivre. »

Biôn très ennuyé, répondit :

« Ma chère petite, tu raisonnes comme une enfant. Tu dis toi-même que tu n’as jamais aimé personne et j’en suis bien convaincu, car dans les bras de son premier amant la femme rêve déjà au