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tout ce qui apparaît pour la première fois, lui semblait défendu par ce qu’il avait d’étranger, de solitaire et d’inconnu. Une famille vivait là. Depuis combien de temps ? Quelle quantité de tristesse et de bonheurs furtifs avait fait joyeuse ou morne cette hutte de boue et d’arbres ? Qui l’avait bâtie ? Qui l’avait habitée ? Quelles morts, quelles naissances avait-elle veillées ? Il sentait que tout ce qu’il pourrait apprendre ne lui dirait jamais rien sur elle, et qu’à jamais ce coin perdu lui demeurerait impénétrable.

Le soir s’élevait rapidement. Biôn enfin se montra.

Aussitôt les deux filles, avec de petits cris, se retirèrent vers la maison ouverte. Mais il n’approcha pas et dit simplement :

« Je demande hospitalité.

— Le père est aux champs, répondit l’aînée. Attends qu’il soit venu. Il t’accueillera. »

Biôn appuya son bras contre un arbre et tourna ses yeux vers le Nil, importuné par les regards curieux qui se fixaient sur sa personne.

Longtemps après le soleil couché, l’Aethiopien arriva, suivant un bœuf blond aux cornes effilées. Et dès qu’il parut, les deux filles parlèrent à la fois.

« Il y a un étranger. Il demande hospitalité.

— Oui, il est seul. — Là, près de l’arbre. — Nous ne l’avons pas laissé entrer avant ton retour. — Nous avons bien fait, père ? »