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« Je m’ennuie. »

Et il continua mollement :

« Regarde, Apollon, autour de toi, regarde. Depuis que je suis né, ai-je vu autre chose que ces champs perpétuellement jaunes, ce ciel implacablement bleu, ces forêts qui ne cesseront jamais d’être vertes. Les cheveux les plus lumineux sont-ils d’une autre couleur que les pommes d’or des Hespérides ; les lèvres les plus sanglantes sont-elles autrement teintées que l’intérieur des grenades ? Ô rouge, or, jaune, et vert et bleu, vos palais m’ont paru splendides, mais pourquoi êtes-vous cinq seulement, et combien vite je vous détruirais pour le sixième inconnu ! »

Il se coucha sur la terre et jeta son front dans ses mains.

« Quel qu’il soit, Apollon ! quel qu’il soit ! mais un autre. Toi qui es le dieu de la clarté, toi qui de ta présence ou de ton déclin fais le jour et la nuit sur nos fronts, ô Phoïbos, es-tu si borné ? L’année elle-même, que tu engendres a douze demeures où s’arrêter ; n’en as-tu créé que cinq pour ta propre jouissance ? Est-ce là ta borne et ta mesure ?

— Tu en oublies une, dit Apollon. Et se baissant, il cueillit la violette.

— Le nom ! dit en tremblant Hyacinthe.

— Le violet, reprit Apollon.

— Quel est ce mot ? Je ne le connais pas. Cette fleur est noire, noire comme la nuit, comme le feu